Ce qui prédomine chez Djamel Mati, c'est cette grande humilité et cette tolérance qui caractérisent les écrivains de talent. Auteur prolifique, il a un large panel de thématiques qui le préoccupent et induisent son imaginaire à écrire avec cette ardeur et cette imagination fertile. Dans cet entretien, il rappelle ses écrits et ses préférences littéraires. Ses romans sont passionnants, ses personnages si denses et ses intrigues rondement menées. Avec sa verve féconde, Mati nous emmène chaque fois dans une balade dans le genre humain dont la loi du genre est transgressée. Votre dernier ouvrage LSD est un livre qui ne s'inscrit pas dans la même démarche que les autres, pourquoi ? Imaginer une histoire qui débute à partir du «big bang» et qui remonte jusqu'au vingt et unième siècle (2050). Choisir un australopithèque comme vecteur de transmission qui traversera les âges géologiques et historiques avec pour unique message, celui de l'amour. Absolument, cela ne ressemble guère aux démarches développées dans mes autres écrits. En réalité, j'aime explorer des univers qui me paraissent de prime à bord compliqués. LSD est pour moi l'accomplissement d'un vieux rêve, celui d'écrire sur l'évolution de la terre, des espèces et de l'humanité et sur le comportement de cette dernière vis-à-vis de son environnement et d'elle-même. C'était quelque chose de très enrichissant pour moi, de tout à fait nouveau et d'assez compliqué. Il me fallait ingurgiter un large éventail de documentations spécialisées et sérieuses, régurgiter une inondation d'imagination délirante pour relier les deux bouts de l'histoire. La gageure était difficile, du moins au début. J'avoue que j'ai pris beaucoup de plaisir à faire ce roman. Après… l'appréciation appartient aux lecteurs. De tous vos livres, quel est celui de votre prédilection ? C'est comme si vous me demandiez lequel de mes enfants je chéris le plus… (sourire). C'est un choix difficile. Mais celui ou ceux qui m'ont demandé le plus d'implications, ce sont On dirait le Sud et LSD. Pour le premier, je l'ai écrit avec le regard de Zaïna, le personnage central de l'histoire qui incarne l'énigme «féminin/masculin». Le second, je me suis mis dans la peau de Lucy, l'australopithèque qui revient faire une leçon de vie au monde moderne. N'y voyez aucun rapport entre ces deux personnages féminins… ou plutôt si…celui de la femme fantasmée, la matrice des origines et aussi l'ultime recours de l'homme, «l'éternel féminin». Dans les littératures française, anglo-saxonne ou sud-américaine, quel est le roman et l'auteur qui vous ont le plus marqué ? J'hésite entre Le vieux qui lisait les romans d'amour de l'écrivain chilien Luis Sepulveda, L'automne du patriarche de Gabriel Garcia Marquez, Ulysse from Bagdad d'Eric-Emmanuel Schmitt ou Presque rien sur presque tout de Jean d'Ormesson. Dans l'état actuel où je me trouve, je penche vers Sepulveda : c'est un opuscule qui se lit comme un rien de par son contenu et sa profondeur à nous emporter par-delà l'écriture. L'histoire de ce vieux qui aimait lire des romans d'amour est tout simplement sublime et saisissante de pragmatisme de bon aloi. Un roman de toute beauté au cœur de l'Amazonie, où l'auteur nous permet d'explorer la jungle, tout en dénonçant le massacre du poumon de notre planète. Même si le roman est publié au début des années 1990, il s'inscrit dans une actualité mondiale toujours brûlante. Luis Sepulveda à travers ce livre nous fait aimer la nature, nous pousse à respecter les peuples et leurs mœurs… surtout dans leurs divergences qui contrairement à ce qu'on croit ne peuvent que nous rapprocher d'eux. C'est cela, la magie de l'écriture. Votre opinion sur ces querelles et invectives entre écrivains ? N'est-ce pas indécent pour des intellectuels ? En effet, cela est déplacé et avant tout stérile. Je crois que ces querelles ont plutôt des objectifs imprécatoires. On désire faire mal à l'autre en débattant publiquement d'un sujet apparemment futile. C'est assez choquant. J'ai toujours cru (naïvement) que les écrivains étaient des âmes pures, or il se trouve que parfois cela ne vole pas plus haut que les mouettes affamées. Les lecteurs n'ont pas besoin de ce genre de débat «du rentre-dedans». La parole très violente ou injurieuse contre un autre écrivain n'apporte rien de nouveau sinon des réflexions anecdotiques. On peut retrouver ce type de comportement en dehors du champ intellectuel. Rien d'enrichissant et sans aucun intérêt éclairé pour le lecteur. Nous nous retrouvons devant une approche (à la limite) philistine de la littérature. Franchement, je souhaite ne pas m'attarder sur votre question, sinon je risque de tomber dans le même piège. Quand paraîtra votre prochain roman Les yeux de Yoko ? J'aimerais vous répondre : demain, mais à l'instar des autres manuscrits, je ne sais jamais quand j'ai terminé avec. C'est comme un enfant, on appréhende toujours le jour où il volera de ses propres ailes… alors, on le couve un maximum. Bon, je vais tout de même donner une période… disons pour la rentrée, en automne ? Concrètement, la raison est un peu plus spécifique, Les yeux de Yoko est une histoire chargée d'émotions complexes et de situations lourdes de sens (à mon avis). J'ai donc besoin de me convaincre en premier avant de décider de sa publication. Toutefois, je peux dire qu'il est fini et se présente bien (sourire). Avez-vous d'autres projets d'écriture ? Je suis en train de revoir et réactualiser mon premier roman Sibirkafi.com pour une édition à l'étranger et une possible réédition en Algérie, un recueil de nouvelles mais pas pour une édition immédiate et aussi d'autres projets d'écriture en collaboration avec des artistes d'un autre art. En revanche, je vais entamer (dés que j'aurais remis Les yeux de Yoko) l'écriture d'un nouveau roman dont l'arborescence est déjà faite. En fait, ce ne sont pas les projets qui manquent, mais le temps. Entretien réalisé