Foncièrement opposé à la répression des mouvements nationalistes qui ont pris corps dans les colonies et protectorats français à ce qu'on dit, le socialiste François Mitterrand n'en demeure pas moins, aux yeux des résistants algériens, l'homme qui a eu à avaliser un grand nombre de condamnations à mort. Ministre de la Justice entre 1956 et 1957, Mitterrand a en effet donné son accord pour l'exécution de pas moins de 45 nationalistes algériens. «Sous Mitterrand, la guillotine a fonctionné sans relâche», rapportent de nombreux témoignages sur les exécutions capitales durant la guerre d'Algérie, et c'est cette vérité que nous rappellent le journaliste François Malye et l'historien Benjamin Stora dans un ouvrage paru dernièrement chez Calman Levy intitulé François Mitterrand et la guerre d'Algérie. L'ouvrage retrace un pan obscur de la vie du premier président socialiste de la France qui, en 1981, fut aussi le premier chef d'Etat français à abolir la peine capitale. Selon ses auteurs, le livre est l'aboutissement d'une enquête de deux ans au cours de laquelle ils ont épluché avec minutie de très nombreuses archives, des centaines de pages de comptes rendus des séances du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de l'époque, celles du ministère de la Justice ou encore de l'Office universitaire de recherches socialistes. Benjamin Stora, grand spécialiste de l'Algérie contemporaine, dit avoir découvert des documents inédits, qui expliquent comment, pendant les 16 mois passés à la tête du département de la justice, Mitterrand a laissé sans broncher couper les têtes des nationalistes algériens, qu'ils aient ou non du sang sur les mains, à l'exemple de Fernand Yveton. Seul Français parmi les exécutés, Yveton n'avait pas commis de crime de sang mais Mitterrand a quand même exigé sa décapitation. Selon les deux auteurs du livre, le garde des Sceaux, vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, s'oppose à 80% des recours en grâce. Pendant ces longs mois, rappellent-ils, François Mitterrand ne faisait pas mystère de sa volonté d'abattre la rébellion. Est-ce une réaction à son incapacité de sentir le vent tourner en 1954, alors qu'il dirigeait le ministère de l'Intérieur ? Probablement puisque, démontreront les deux auteurs, il était évident qu'en se positionnant franchement pour la répression, Mitterrand, alors âgé de 40 ans, voulait donner des gages aux durs du gouvernement, uniquement pour y rester. Le seul survivant du CSM de l'époque, Jean-Claude Périer, confirme la sévérité extrême de Mitterrand, indiquant que le personnage pensait que la meilleure solution de maintenir l'Algérie française était de décapiter la rébellion. Mitterrand, un résistant anti-nazi ? Benjamin Stora et François Malye relèvent que Mitterrand a fait partie de tous ceux, très nombreux, qui ont accompagné, sans jamais le transgresser, «un mouvement général d'acceptation du système colonial et de ses méthodes répressives». Ces conclusions dénotent singulièrement avec l'historiographie officielle qui présente Mitterrand comme cet ancien résistant qui s'est opposé à la brutalité de la répression au Maroc et en Tunisie. Les révélations de Benjamin Stora et François Malye dans ce livre ne sont pourtant pas nouvelles. «L'historien Jean-Luc Einaudi avait déjà ouvert une brèche dans ce passé et dressé en 1986 une première liste des exécutions pendant la guerre d'Algérie... Mais personne n'avait encore pris à bras-le-corps le sujet Mitterrand», explique M. Stora. Les auteurs ont aussi recueilli, en France et en Algérie, les témoignages inédits d'acteurs de cette période, comme l'historienne Georgette Elgey qui fut témoin des événements en tant que journaliste puis conseillère à l'Elysée à partir de 1982, et de personnalités comme Robert Badinter, Roland Dumas, Michel Rocard ou Jean Daniel. Pour la première fois, ils ont accepté d'aborder cet aspect méconnu de la vie politique de Mitterrand, qu'il refusera de renier. Il fera néanmoins un aveu plusieurs décennies plus tard : «J'ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là.» «Ce que je voulais aussi, c'était entendre les voix des Algériens et cela a été la source de révélations extraordinaires. Ainsi, le frère d'un des guillotinés ou encore un ancien responsable du PC algérien se sont confiés. Ils n'avaient jamais parlé», assure l'historien. Du côté algérien, il faut rappeler que de nombreux témoignages ont été recueillis sur le rôle joué en particulier par Mitterrand et les socialistes en général durant la guerre d'Algérie. Ils n'ont pas eu l'impact souhaité, suprématie médiatique oblige.