Le Parlement européen a appelé les Nations unie, à travers sa résolution de jeudi sur la situation qui prévaut au Sahara occidental, à ouvrir une enquête internationale sur les massacres et les arrestations des indépendantistes sahraouis depuis la prise d´assaut lancée, le 8 novembre dernier, par les forces marocaines du camp de protestation de Gdeim Izik situé aux abords de Al Ayoune. Soutenu par le Parti populaire européen, le groupe socialiste avait multiplié les manœuvres pour empêcher une condamnation ferme du régime marocain après s´être, vainement, opposé à l´ouverture même du débat parlementaire, mercredi, à l´initiative du député communiste portugais, Joan Ferrer. Empêcher une condamnation du Maroc Après un vote à main levée, les eurodéputés ont adopté une résolution consensuelle dans laquelle ils ont dénoncé la violence utilisée par les autorités marocaines pour déloger, le 8 novembre à l´aube, les 20 000 sahraouis qui s´y trouvaient, les arrestations massives des indépendantistes et les expulsions des journalistes étrangers. Les eurodéputés n´ont pas voulu aller plus loin, préférant attendre pour écouter d´abord les dépositions des représentants du Maroc et du Front Polisario, la semaine prochaine, devant la commission des affaires étrangères de Strasbourg. La «parole de l´un contre celle de l´autre» ne fixera pas davantage les parlementaires européens sur la position qu´ils devront prendre. Aussi, ont-ils décidé de se fier au rapport d´une commission d´enquête mise en place par les Nations unies. Ce recours à l´arbitrage international est, en soi, un désaveu pour les socialistes qui ont voulu faire accréditer l´idée que le gouvernement marocain a engagé une procédure dans le même sens. Les journaux espagnols ont fait observer, jeudi, qu´«au même titre que l´Espagne, le Parlement européen s´est refusé à condamner le Maroc». Cette précision laisse supposer que les socialistes espagnols, mis en minorité dans leur propre pays sur cette question, tant au Congrès des députés qu´au Sénat, ont beaucoup agi, au plan européen, pour empêcher une condamnation du Maroc. Willy Meyer : «Un message fort et clair» La première réaction au contenu de cette résolution est venue du Front Polisario. Dans une déclaration à chaud à l´agence espagnole Efe, le représentant du mouvement sahraoui pour l´Europe, Mohamed Besseit, a qualifié de «grande victoire» l´adoption de cette résolution par les parlementaires européens, malgré les pressions socialistes pour la vider de son sens. Pour l´eurodéputé communiste Willy Meyer, qui a été expulsé le 12 novembre dernier de l´aéroport même d'Al Ayoune, «le Parlement européen a adressé un message fort et clair qui vient consolider le droit du peuple sahraoui à l´autodétermination et dénonce les atrocités marocaines», et ce, malgré les pressions du Maroc pour faire reporter le débat au mois prochain. Même ton de satisfaction chez son collègue catalan du parti des Verts, Raúl Romeva, un chaud partisan de la cause sahraouie, pour qui «le lobby pro-marocain (entendre les socialistes espagnols) a échoué» estimant que Madrid et Paris «devraient prendre leurs responsabilités envers le peuple sahraoui». Malgré ce désaveu, le parti socialiste espagnol continue de mener campagne pour la version des faits marocaine dans les deux chambres parlementaires en Espagne. La ministre espagnole de Affaires étrangères, Mme Trinidad Jimenez, qui s´était présentée mercredi devant le Sénat pour exposer les grandes lignes de sa politique étrangère, a vu le débat dévier inévitablement sur la répression marocaine. Le porte-parole du Parti populaire (PP), Alejandro Muñoz, l´avait vivement interpellée sur la passivité de son gouvernement face aux massacres marocains, en lui rappelant que «l´Espagne garde toujours une souveraineté résiduelle sur son ancienne colonie parce que la décolonisation du territoire sahraoui n´a jamais été menée à son terme», ajoutant qu´«il n´y a pas d´autre formule alternative à la tenue d´un référendum d´autodétermination du peuple sahraoui». Le masque est soudainement tombé. Jimenez : la phrase de trop Notoirement connue pour appartenir au premier cercle du lobby socialiste pro-marocain, Mme Jimenez avait depuis sa prise de fonction comme chef de la diplomatie espagnole, en remplacement de Moratinos, joué plutôt la prudence dans ses déclarations sur le Sahara occidental. Visiblement irritée par les critiques du PP, la nouvelle ministre s´interroge en ces termes : «De quel côté y a-t-il eu le plus de morts ? Elle commet l´irréparable qu´aucun membre du même lobby n´avait encore osé jusqu´à présent : «Juridiquement, on ne peut pas qualifier le Maroc de puissance d´occupation» du Sahara occidental dans la mesure où la cession de l´ancienne colonie espagnole sous le régime du général Franco n´avait pas été le produit d´un conflit ni d´un acte de belligérance mais d´un accord (Accord tripartite de Madrid du 14 novembre 1975). L´Espagne s´en tient donc à la légalité internationale !» Pas mal de députés lui ont déjà donné rendez-vous à la session de contrôle de l´action du gouvernement par le Parlement national, mercredi prochain. Parmi les journalistes espagnols qui suivaient ce débat, quelques-uns étaient à Al Ayoune au moment de la répression marocaine et n´étaient pas encore remis des brutalités marocaines dont ils ont été eux-mêmes l'objet. Dans un communiqué repris jeudi par les médias espagnols, la Fédération des associations des journalistes d´Espagne (FAPE) a qualifié «la politique de black-out médiatique» pratiquée par le Maroc autour de ce qui se passe au Sahara occidental d´«agression et de grave atteinte à la liberté de la presse». La FAPE a dénoncé, en outre, la responsabilité des autorités marocaines dans «les dangers et l´insécurité à laquelle ont été exposés les journalistes espagnols dans l´accomplissement de leur mission» dans l´ancienne colonie espagnole. Zapatero contre vents et marées Cependant, ni les critiques virulentes de la classe politique ni les protestations qui se multiplient à travers toutes les villes d´Espagne des personnes qui continuent de se rassembler devant les consulats marocains et les sièges du parti socialiste, ni encore la menace d´un vote sanction aux prochaines élections régionales et générales ne semblent avoir impressionné le gouvernement Zapatero. Actuellement, Madrid s´emploie activement à préparer le terrain auprès de ses pairs européens, à la déposition, le 13 décembre prochain, du ministre marocain des AE Fassi Fihri devant ses collègues de l´Union européenne.