En ces jours de forte pluviosité et de grand froid, les conditions de vie dans les bidonvilles interpellent une nouvelle fois les consciences. Le manque d'hygiène a pour conséquence l'apparition de maladies que tout le monde croyait vaincues. L'exemple du ghetto de Aïn El Melha, situé dans la commune de Gué de Constantine, est plus qu'édifiant. Le mois de décembre est clément pour les agriculteurs, mais destructeur pour les gens vivant dans des conditions qui dépassent la précarité. Mais au final, ce n'est pas ce mois hivernal qui en est la cause, ce sont plutôt les conditions d'hébergement dans ces taudis. Les maladies apparaissent pour ne pas disparaître, accompagnées de l'amertume qui met fin à l'espoir. Dans le bidonville de Aïn Melha, c'est une autre Algérie qui s'offre aux «visiteurs». Visite n'est en réalité pas le terme approprié. Mais constater de visu les conditions de vie dans ce gourbi ne peut laisser ni insouciant, ni inconscient le moindre riverain au vu de la situation des plus de 3 000 familles qui y vivent. Des baraques collées à leurs semblables, des portes mises sur pied comme des puzzles de papier, des venelles envahies par les déchets et les odeurs nauséabondes, des enfants aux visages misérables et des parents qui ont perdu tout espoir de pouvoir vivre en ce bas-monde avec dignité. Ce ne sont là que des éléments frappants pouvant décrire le bidonville de Aïn Melha, l'un des plus grands du continent africain. Entassé dans une cuvette, à la limite de Aïn Naâdja, le ghetto de Aïn Melha offre une vie des «plus salées». Hydra est… loin, très loin de Aïn Melha En sillonnant les venelles de ce bidonville, ce n'est pas l'Algérie d'Alger-Centre ou de Hydra qui se dessine. Loin, loin, et loin est la comparaison. Aïn Melha, cette source de malheur pour les occupants des 3 000 baraques, est pire qu'une favela brésilienne, mille fois plus chaotique que le ghetto noir de Harlem. Aïn Melha est le coin de cette Algérie du XXIe siècle, objet de l'inattention dont font preuve les autorités locales. Aïn Melha est cet endroit où flotte le drapeau algérien sur une baraque, mais qui d'une manière ou d'une autre rappelle une Algérie sous l'occupation coloniale, époque où les gourbis naissaient comme des champignons lorsque les villageois fuyaient leur douar. Le bidonville en question est un réservoir de problèmes sociaux et une «banque de maladies» que le commun des mortels croyait disparues. A Aïn Melha, la tuberculose sévit toujours et frappe dès le bas âge. Ahmed, la trentaine bien entamée, en a été victime. «J'ai chopé cette sale maladie quand j'avais 24 ans. Dieu merci, grâce à l'aide de généreux citoyens et au suivi d'un excellent professeur à l'hôpital Mustapha, j'ai pu guérir. Mais ici, la tuberculose guette à chaque coin de rue, comme un regard sur le passé». Outre la bacille de Kock, l'ancêtre, d'autres maladies envenimement la vie des habitants de Aïn Melha. En ces temps de fortes pluies, le froid glacial pénètre dans les baraques comme un invité indésirable. Il casse les os jusqu'à leur effritement. Des centaines et des centaines de personnes sont affaiblies et exposées à l'humidité. Des jeunes gens à la fleur de l'âge ont perdu la force de leur système immunitaire qui, entré en action durant les longues années passées à Aïn El Melha, et faute d'un relogement dans des habitations décentes, a fini par s'essouffler. A Aïn Melha, les visages à eux seuls expriment le désarroi. Le désastre qui perdure peut conduire à un génocide involontaire devant ce manque de considération à l'égard des habitants de ce bidonville. «Cela fait plus de 20 ans que nous vivons ici et nous n'avons rien vu venir de bon. Nous avons déposé des dossiers au niveau des offices de logement et rien n'a changé. Les gens ici meurent de désespoir, de maladie, de crise cardiaque en raison du stress quotidien», affirme Mourad, qui n'a pu retenir ses larmes. Les habitants de Aïn Melha sont pour la plupart originaires de Gué de Constantine, de Bachdjarah et d'El Harrach dans une moindre mesure. Une forte minorité provient des villages désertés de M'sila et de Médéa. Ces deux dernières catégories de personnes ont fui le terrorisme avant la moitié des années 1990 pour le retrouver et en être la cible durant sa deuxième expression. Une population oubliée Pour les jeunes trentenaires de cette «cité oubliée», depuis l'émergence du bidonville à partir de 1988, les familles n'ont cessé de construire des baraques, car le taudis constituait pour eux une alternative. La crise de logement en est dans la plupart des cas la cause, mais la bureaucratie des autorités locales y est pour beaucoup. «Nous ne demandons pas l'aumône. Ils veulent mettre fin à l'habitat précaire comme ils disent, alors ils n'ont qu'à tenir parole et nous vendre par échelonnement les logements qui nous sont réservés. Comment se fait-il que des bidonvilles qui n'ont que 4 ans d'existence aient été démolis et leurs occupants devenus d'heureux bénéficiaires de logements neufs, alors que nous, cela fait plus de deux décennies que nous croupissons dans ces taudis ?» tonne Saïd, la quarantaine, au visage noirci par tant de haine contre l'injustice dont il se sent victime. Si le ministre de l'Habitat indique que seuls les bidonvilles recensés avant 2007 seront démolis et leurs occupants relogés dans des appartements aux normes de vie adéquates, les habitants de Aïn Melha entretiennent cette mince lueur d'espoir tout en priant que ces déclarations officielles soient suivies d'effet. Dans le cas contraire, on continuera toujours à mourir à Aïn El Melha, la source salée de tous les malheurs de plus de 18 000 individus.