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Les islamistes veulent profiter de la Révolution des Jasmins
Alors que la rue demande le départ du gouvernement
Publié dans Liberté le 24 - 01 - 2011

Les islamistes tunisiens en embuscade lorsque les snipers de Ben Ali tiraient sur la foule, sortent au grand jour. Pour l'instant, ils jurent de ne pas chercher à dévier le cours de la révolution et de ne pas toucher aux acquis des Tunisiens. Spectateurs passifs de la “Révolution des Jasmins”, les islamistes tunisiens entendent profiter de la chute du régime Ben Ali pour revenir sur la scène politique, en prenant soin de ne pas effrayer une société acquise, en apparence, aux fondamentaux de la séparation de la religion du politique. Ils ont pris le train en marche. Ils ne sont sortis du bois que lorsque Ben Ali a pris la poudre d'escampette et que les autorités transitoires, qui ont succédé à son régime, ont décrété officiellement l'ouverture de la Tunisie, descellant les portes des geôles du président déchu pour libérer tous les prisonniers politiques et ouvrant les postes frontaliers aux opposants en exil.
Des Tunisiens, qui ont battu le pavé depuis la mi-décembre et sacrifié, selon l'Onu, une centaine d'entre eux, n'ont pas manqué de relever cet opportunisme caractéristique des islamistes qui sont toujours en embuscade et qui ne ratent pas l'occasion pour essayer de rafler la mise et de se mettre au moins en avant. En effet, ce n'est que la semaine dernière, lorsque la rue a définitivement tranché sur le sort de Ben Ali et a engagé un nouveau bras de fer avec les nouvelles autorités pour que la “Révolution des Jasmins” ne soit pas usurpée ni même déviée de son cours, la table de la démocratie étant dressée, les islamistes ont alors commencé à participer aux manifestations, se mêlant aux acteurs de la révolution mais en prenant soin de marquer leur présence sous forme de groupes compacts.
Le coup d'envoi très médiatisé par les chaînes satellitaires, notamment al-Jazeera, le porte-voix par excellence de l'islamisme sous toutes ses versions, a été donné à Tunis par une manifestation qui avait à sa tête l'ex-président du mouvement islamiste Ennahda, Sadok Mourou, qui a annoncé qu'il allait demander la légalisation du parti interdit sous Ben Ali pour pouvoir participer aux élections législatives annoncées dans six mois par le Premier ministre de transition. En revanche, la formation ne présentera pas de candidat à l'élection présidentielle, a annoncé depuis Londres où il vit en exil, Rachid Ghannouchi, chef charismatique de l'islamisme politique tunisien. Ennahda, démantelé par Ben Ali, qui s'était frotté aux islamistes pour solder le bourguibisme et asseoir son autorité, après les élections de 1989 où les islamistes avaient obtenu 17% des suffrages, venant immédiatement derrière le parti au pouvoir, se présente aujourd'hui comme “un parti réformateur prônant un islam modéré”. Ses chefs, R. Ghannouchi et S. Mourou n'arrêtent pas de rassurer les tunisiens, se disant plutôt proches de l'AKP turc, le parti islamo-conservateur au pouvoir à Ankara. La question qui taraude les démocrates et des pans de la société tunisienne qui continuent de lutter pied à pied pour instaurer une nouvelle république démocratique, sociale et résolument moderne, qui sera, à l'évidence, première du genre dans le monde arabo-musulman, est de savoir si à la faveur du multipartisme qu'ils destinent à leur pays, les islamistes pourraient attirer davantage de partisans que ce qu'a donné à voir la Tunisie,, ces dernières décennies, et pendant leur révolution, de sa naissance à l'exil de Ben Ali en Arabie saoudite.
C'est vraiment la grande inconnue de la “Révolution des Jasmins”. “Ses partisans sont aussi beaucoup plus nombreux que ceux de l'opposition laïque”, à en croire Salah Jourchi, un expert tunisien des mouvements islamistes. Bien que la laïcité version tunisienne ait été imposée par Habib Bourguiba dès 1956, date de l'indépendance de la Tunisie, l'inquiétude reste de mise.
Maintenant que le gouvernement provisoire a promulgué la loi d'amnistie, qui a autorisé les partis interdits et libéré les prisonniers politiques, Ghannouchi peut revenir chez lui à
tout moment. De nombreux tunisiens redoutent tout de même qu'avec la levée des interdictions, les idées extrémistes circulent aussi ouvertement et largement que les idées modernes et démocratiques.


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