Le peuple égyptien, comme pour faire une halte après une semaine des violentes manifestations entamées mardi, s'est donné rendez-vous hier pour répondre à l'appel du mouvement de contestation : plus de deux millions de personnes au Caire et dans d'autres villes du pays. De plus en plus nombreux, les manifestants ont convergé non pas tôt le matin mais la veille vers la place Ettahrir, au centre-ville mais aussi les placettes et les boulevards avoisinants pour réclamer le départ du président Hosni Moubarak. Des correspondants de presse font état de marches et de manifestations similaires à travers toutes les villes du pays, même au village natal du Raïs. Toutes catégories confondues, dont des enfants, ont été de la partie de cette démonstration de force. Toujours déterminés à aller jusqu'au bout de leurs revendications, les manifestants ne veulent rien entendre et ignorent complètement les tentatives d'apaisement initiées par Moubarak et son équipe. Les manifestants lançaient des slogans comme «Dehors Moubarak», et brandissaient des affiches représentant le président pendu, ou sa photo avec la tête de Hitler. Une très forte mobilisation du peuple Cinquante organisations égyptiennes de défense des droits l'homme ont appelé Moubarak à «se retirer» du pouvoir pour «éviter un bain de sang», au 8e jour d'une révolte populaire qui a fait au moins 140 morts, selon la presse sur place et près de 300 à en croire le Haut commissariat de l'ONU aux droits de l'homme. «Le président Moubarak doit respecter la volonté du peuple égyptien et se retirer pour éviter un bain de sang», affirment ces ONG qui comptent parmi elles les organisations de défense des droits de l'homme les plus importantes d'Egypte, comme le Centre d'études des droits de l'homme du Caire, l'Association égyptienne des droits économiques et sociaux et le Centre arabe pour l'indépendance de la justice. En face de la révolte, de plus en plus importante, le pouvoir de Moubarak semble perdre le contrôle de la situation et tente, comme pour parer au plus pressé, d'annoncer des mesures et des réformes. Ainsi, il a procédé au remaniement de son gouvernement et a chargé son premier vice-président, Omar Souleiman, nommé le week-end, pour prendre attache avec l'opposition dans une énième tentative de calmer la rue qui grogne toujours. Il a annoncé avoir été chargé par le président d'ouvrir un dialogue immédiat avec l'opposition, «autour de toutes les questions liées aux réformes constitutionnelles et législatives». Néanmoins, la sortie médiatique de l'armée égyptienne a surpris plus d'un et beaucoup d'analystes voient dans cette position le lâchage du Raïs par une institution qui a été toujours à ses ordres. L'armée se démarque Dans un communiqué officiel adressé lundi en début de soirée au «grand peuple d'Egypte», l'armée a jugé «légitimes» ses revendications et assuré qu'elle n'aurait pas recours «à l'usage de la force contre le peuple». C'est aussi une prise de position qui est expliquée par le fait que Moubarak est «devenu une gêne pour l'institution militaire». Les plus offensifs soutiennent que la chute du Raïs est une question de jours et même d'heures, car il est difficile pour Moubarak de rester au pouvoir. Certains analystes estiment, par ailleurs, que les militaires tentent de trouver une sortie qui soit à la fois honorable pour Moubarak et qui leur permette de préserver leur influence dans l'appareil d'Etat ainsi qu'au sein du parti dirigeant. L'élection présidentielle prévue en septembre pourrait fournir à Hosni Moubarak l'occasion d'annoncer qu'il n'envisage pas de se représenter pour un nouveau mandat après 30 années au pouvoir. Mais ce scénario ne prend pas en compte la volonté farouche de la rue de le voir partir immédiatement. La classe politique égyptienne patiente et semble attendre le «verdict» de la marche, dans un espoir de voir le Raïs abdiquer. L'opposition dans l'attente En ce sens, l'opposant Mohamed El Baradeï, qui s'impose comme la figure de proue de la révolte contre le régime de Moubarak, a prévenu, dans le journal britannique The Independent que si le président «veut vraiment sauver sa peau, il ferait mieux de partir», ajoutant qu'il devrait quitter le pouvoir d'ici vendredi. Les Egyptiens «veulent en finir aujourd'hui, sinon vendredi au plus tard», a-t-il dit. «Vendredi a été baptisé ‘'le jour du départ''», a-t-il affirmé. Le parti des Frères musulmans, force d'opposition la plus influente du pays, a rejeté lundi soir le cabinet tout fraîchement nommé par le président égyptien, appelant à «des manifestations massives partout en Egypte afin que tout le régime – président, parti, ministres et Parlement – quitte le pouvoir». Sur le plan économique, les contrecoups de la révolte se faisaient sentir. Le tourisme, l'une des principales sources de revenus pour l'Egypte, a été fortement affecté, banques et Bourse étaient fermées, et le carburant commençait à manquer. Sur le plan mondial, Moubarak est de plus en plus isolé et ne compte presque aucun soutien. A l'exception de l'Arabie Saoudite, de la Libye et d'Israël, la communauté internationale, y compris son allié, les Etats-Unis, lui recommandent de respecter le choix de son peuple et de répondre à ses aspirations.