La police égyptienne a tiré des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau contre des milliers de personnes qui manifestaient au Caire hier contre le gouvernement et le président Moubarak au pouvoir depuis près de 30 ans. Des policiers ont notamment tiré avec des canons à eau contre l'opposant pour la démocratie Mohamed el Baradeï et ses partisans qui se joignaient aux manifestants. Des membres du groupe qui avaient entouré le prix Nobel de la paix pour le protéger ont pris des coups de matraque. Des policiers en tenue anti-émeute, équipés de casques et boucliers ont été déployés autour de la capitale, aux entrées des ponts qui enjambent le Nil et autres intersections clefs. Des milliers de manifestants ont convergé vers le centre du Caire et se sont rassemblés dans d'autres villes d'Egypte dont Suez, haut lieu des troubles des derniers jours, ont rapporté des journalistes de Reuters et une organisation d'opposition. Dans la capitale, des protestataires ont manifesté près de la mosquée où l'ancien directeur général de l'AIEA Mohamed ElBaradeï, partisan de réformes politiques, s'était rendu pour prier et ont appelé à la démission du président Hosni Moubarak. Ils ont lancé des pierres sur la police qui a répliqué en tirant des balles en caoutchouc. Pour tenter de limiter la contestation, les autorités ont arrêté des membres des Frères musulmans et bloqué peu après minuit les sites internet utilisant les serveurs égyptiens ainsi que les communications des téléphones portables, qui sont impossibles ou aléatoires, réduisant d'autant les capacités de mobilisation des opposants. Des fourgons de police étaient garés hier matin le long des rues menant à la place Tahrir dans le centre du Caire, où s'étaient produits mardi de violents affrontements. S'inspirant de la "Révolution de jasmin" tunisienne qui a chassé le président Zine ben Ali le 14 janvier, les Egyptiens descendent quotidiennement dans la rue depuis trois jours dans le cadre d'une contestation sans précédent contre le régime de Moubarak, au pouvoir depuis près de trente ans. "C'est une révolution", assurait une jeune manifestante de 16 ans à Suez jeudi soir. "Nous reviendrons ici chaque jour." Dans cette ville, qui a été le théâtre des manifestations les plus violentes, la police a fait usage de gaz lacrymogènes contre les manifestants qui leur lançaient des pierres aux premières heures de vendredi. Les forces de sécurité ont abattu jeudi un manifestant dans le nord du Sinaï, ce qui porte à cinq le bilan des morts depuis le début des troubles. Arrivé en Egypte jeudi, l'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) Mohamed ElBaradeï a déclaré que le moment était venu pour Hosni Moubarak de se retirer. Selon la chaîne de télévision Al Arabia, il s'est même proposé d'assurer l'intérim à la tête du pays si la rue le lui demandait. Des internautes ont fait état vendredi de l'impossibilité de se connecter à des sites internet et d'envoyer des SMS. Renesys, une société américaine spécialisée dans la veille et l'analyse des données de routage sur internet, a estimé que le blocage d'internet constaté vendredi était "sans précédent dans l'histoire d'internet". "Les actions du gouvernement égyptien ont effacé le pays de la carte mondiale", dit la société. Face aux perturbations, le porte-parole du département d'Etat américain, P.J Crowley, a fait part de sa préoccupation sur le site de micro-blogging Twitter, qui comme le réseau social Facebook, a joué un rôle de première importance dans l'organisation de la mobilisation. Une page Facebook référençait ainsi hier plus de 30 mosquées et églises où les manifestants prévoyaient de se rassembler dans la journée. "Les musulmans et chrétiens d'Egypte doivent descendre dans les rues pour dénoncer la corruption, le chômage, l'oppression et l'absence de liberté", peut-on lire sur le site. A quelques heures des nouvelles manifestations, les autorités égyptiennes ont arrêté plusieurs membres du mouvement des Frères musulmans, dont au moins huit figures du mouvement fondamentaliste dans la nuit de jeudi à vendredi. "La raison (de leur interpellation) est évidente: c'est lié à ce qui doit se passer demain", a déclaré leur avocat, Abdel Moniem Adbel Maksoud. De source proche des services de sécurité, on confirme que les autorités ont donné l'ordre de réprimer le mouvement politique, interdit mais toléré, pendant la nuit. Les Frères musulmans ne sont pas à l'origine des manifestations réclamant le départ du président Moubarak mais ses partisans devraient rejoindre en nombre le mouvement vendredi. Le gouvernement égyptien a exhorté la jeunesse à se méfier des Frères musulmans et d'autres organisations susceptibles de récupérer le mouvement de protestation pour favoriser leurs "programmes secrets". A Davos, où il participe au Forum économique mondial, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a appelé les dirigeants égyptiens à éviter de nouvelles violences et à respecter les libertés de rassemblement et d'information. "Tous ceux qui sont concernés - population et dirigeants - doivent faire en sorte que la situation dans cette région, notamment en Egypte, ne dégénère pas dans de nouvelles violences", a dit Ban lors d'une conférence de presse. "Je demande aux autorités de voir dans la situation une occasion de répondre aux inquiétudes légitimes de la population", a-t-il ajouté. Le président américain, Barack Obama, a estimé jeudi que les réformes politiques étaient "absolument cruciales" pour l'avenir de l'Egypte, exhortant le président Moubarak à mettre en oeuvre des changements tout en lui reconnaissant la qualité d'allié essentiel des Etats-Unis.