Ils sont douze, ils ne sont pas morts, mais sur la plage des morts (playa de los muertos) qu'ils ont été interceptés par les gardes-côtes de la gendarmerie espagnole. «Ils», ce sont douze Algériens qui voulaient se faire la belle en pleine tempête révolutionnaire. Des harraga, comme un ministre à la pudeur légendaire sur la misère du peuple aimerait qu'on ne les appelle plus. Il y a comme de la cocasserie d'atterrir sur un espace dédié aux morts quand on est vivant, mais ce n'est peut-être pas si cocasse que ça. «Ils» auraient pu mourir dans une manifestation, en s'immolant pour provoquer des manifestations ou en se noyant au large de la côte oranaise, mais l'embarcation, en dépit de sa fragilité, a tenu bon. Il a fait bon ces derniers jours et le soleil a été généreux. Sur Meidane Ettahrir du Caire, sur l'avenue Bourguiba de Tunis et tout près d'Almeria, c'est-à-dire très loin d'Alger. ça aide certes à affronter la haute mer, à faire de suicidaires felouques des embarcations fréquentables et les premiers jours d'exil moins périlleux, mais le beau temps aurait pu ne pas faire la harga. Il rend les jours moins longs, le corps moins exigeant en bouffe et le sommeil moins problématique, mais il ne fait pas la harga. Le beau temps qui règne sur l'avenue Bourguiba aurait même pu arrêter «l'aventure» ou au moins en inspirer une trêve. Mais voilà, il fait moins beau à Alger qu'à Tunis et pourtant : ce ne sont pas 12, mais 977 immigrants tunisiens qui sont arrivés illégalement, dans la nuit de samedi à dimanche, sur l'île italienne de Lampedusa, 5000 en cinq jours. Le gouvernement italien a proclamé, samedi, l'état d'urgence humanitaire, mais «cela ne suffit plus, nous devons mobiliser les pays de la Méditerranée qui ont des navires, des avions et des hélicoptères» pour contrôler la côte tunisienne. C'est Franco Frattini, le ministre italien des Affaires étrangères, qui s'exprimait ainsi dans une interview au Corriere della Sera. Les Tunisiens peuvent recevoir de l'aide, mais ne peuvent rester sur le sol italien. Les Tunisiens ont fait la révolution, mais ils ne veulent toujours pas rester en Tunisie. Les Algériens n'ont pas marché, mais ils arrivent toujours à Almeria. Trois d'entre eux ont été présentés la semaine passée au tribunal de cette ville pour avoir «organisé une traversée clandestine depuis la côte oranaise vers une crique de Cabo de Gata». L'inconvénient d'être jugé à Almeria pour une traversée clandestine, c'est que systématiquement on est renvoyé vers Alger, Oran ou Annaba. L'inconvénient d'être jugé pour une marche non autorisée en Algérie, c'est d'être déjà en Algérie ! Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir