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«Il ne suffit pas d'exclure l'espace aérien pour dire que nous avons solutionné le problème du peuple libyen» Professeur Chems Eddine Chitour au Temps d'Algérie :
Professeur à l'Ecole polytechnique d'Alger et auteur de nombreux articles sur l'Islam, la laïcité, le voile, et de plusieurs ouvrages, dont L'Islam et l'Occident chrétien : pour une quête de la tolérance et L'Histoire religieuse de l'Algérie, Chems Eddine Chitour accepte de répondre à nos questions sur la situation en Libye et la position de la Ligue arabe. Le Temps d'Algérie : La Ligue des Etats arabes a pris la décision de l'instauration immédiate d'une zone d'exclusion aérienne sur le trafic militaire libyen. Que pensez-vous de cette mesure ? Est-elle indispensable pour mettre un terme au conflit entre le peuple libyen ? Chems Eddine Chitour : Je ne peux pas répondre à cette question sans aborder le problème libyen dans le fond. Il y a des facteurs qu'il faudrait éclaircir pour les lecteurs. Nous avons l'impression que ce qui se passe actuellement en Libye est comparable à ce qui s'est déroulé en Tunisie et en Egypte. Ce qui n'est pas vrai. Nous avons assisté à la naissance d'un mouvement populaire sans armes en Egypte et en Tunisie. Mais, en Libye, nous avons affaire à une révolution armée menée par des tribus . L'armée loyale au président Kadhafi est en train de reprendre le terrain. Ce qui est en totale contradiction avec ceux qui veulent atteindre les pays occidentaux, attachés à une intervention humanitaire, qui sous-entend une attaque armée. Dans ces conditions, il faudrait évoquer l'avis des révoltés. Il y a celui du peuple proprement dit libyen, représentant la base, qui est contre l'intervention des armées française, américaine et britannique. Ils ont défendu le principe de non-ingérence dans les affaires internes. Il existe un autre son de cloche, celui émanant des chefs d'insurrection qui ont été appuyés et armés par des forces extérieures. Pour des raisons «humanitaires», les trois pays cités ont débarqué des militaires, des agents des services secrets dans le but de soutenir les chefs des insurgés. C'est un grand problème qui se complique maintenant avec le fait que l'armée de Kadhafi a repris le terrain et les grandes villes du pays. Hier, elle a récupéré une des plus importantes raffineries de pétrole. Les calculs des pays voulant intervenir militairement ont été faussés par la réaction des soldats libyens. La stratégie des pays de l'Occident était basée sur l'accaparement des 4% des réserves mondiales de la Libye, c'est-à-dire des 48 milliards de barils. Pour pouvoir accaparer cette réserve, il faudrait enfanter une guerre qui va servir aussi à faire sortir leurs concurrents, les chinois. Au début, les anglais et les français voulaient opérer seuls. Ceci explique d'ailleurs l'agitation de Nicolas Sarkozy et de David Cameron à la réunion des 27 de l'Europe. Mais ils n'ont pas pu convaincre l'Europe de décider d'une intervention pour pouvoir créer une zone d'exclusion à cause du refus de l'Allemagne, qui a vu d'un mauvais œil les actions de la France et de l'Angleterre. Cette situation nous rappelle ce qui s'est passé il y a plus d'un siècle, lors des accords de partage des richesses de l'Empire ottoman. Les pays occidentaux veulent reprendre la zone Est de la Libye, où il y a 80% des gisements pétroliers. Mais avec la reprise en main de la Libye par le président Kadhafi, c'est toute une stratégie qui est en train de capoter. La France, à titre d'exemple, a reconnu le comité des insurgés au détriment d'un pays souverain. Ce qui se passe en Libye est quelque chose de dramatique. Pour reprendre le contrôle de la situation, Kadhafi est en train de supprimer carrément ses concitoyens. Nous sommes donc face un problème de fond et global. Vous estimez donc que la Ligue arabe aurait dû prendre une décision plus sage et mieux réfléchie que celle prise samedi ? C'est effectivement mon avis. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. La Ligue des Etats arabes est pilotée depuis des années par les Etats-Unis d'Amérique. Le vote de samedi pour une exclusion aérienne en Libye n'est pas en soi une surprise. A la tête de la Ligue arabe, il y a l'égyptien Amar Moussa, qui ambitionne aujourd'hui d'être le futur président de l'Egypte. Pour ce faire, il doit montrer des signes d'allégeance aux américains. De ce côté-là, il a eu le soutien des saoudiens, dont on connaît les liens historiques avec les américains, les koweïtiens, les jordaniens, les tunisiens, qui sont embourbés dans leurs propres problèmes, sans compter les marocains. Il ne reste dans le monde que les algériens et les syriens à avoir une autre position sur la question libyenne. Ils refusent l'ingérence et l'écoulement du sang des citoyens libyens. Cela ne veut pas signifier évidemment qu'il faille admettre ce qu'a entrepris Kadhafi et son armée, au pouvoir depuis 42 ans. Il a brisé son pays et son peuple. Il devait partir et éviter de perpétuer le statu quo et de brandir la menace terroriste d'Al Qaida et l'immigration clandestine. Que pensez-vous de la position algérienne vis-à-vis de la question libyenne et du vote de la Ligue arabe ? La position officielle de l'Algérie a été exprimée par le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, qui avait déclaré samedi au journal français Le Monde que l'Algérie n'avait pas vu venir des révolutions en Tunisie et en Egypte. Il a rappelé que l'Algérie ne veut pas s'ingérer dans les affaires internes des pays voisins. C'est la position constante de la diplomatie algérienne. Mais on aurait aimé entendre le ministre dire qu'il n'est pas permis à un dirigeant arabe de supprimer un peuple. C'est le moins que l'on puisse dire. A la limite, on accepte le principe de non-ingérence étant donné le contexte libyen et l'échec de cette action dans d'autres pays. Mais l'Algérie devait trouver les moyens de faire cesser la guerre civile et la violence entre le peuple libyen. C'est une démarche importante. Le ministre des Affaires étrangères a dénoncé le recours à la violence et à l'utilisation des armes pour le contrôle du pouvoir. Il a affirmé que l'Algérie est très inquiète parce qu'il y a une opposition armée entre une partie de la population et une autre… C'est important d'entendre ce message, mais il faudrait agir sur le terrain. Je pense que les pays de la région doivent entreprendre une action de dialogue avec toutes les forces libyennes afin de faire cesser la violence. Les pays africains ont fait cette démarche avec la Côte d'Ivoire, où deux camps réclament la présidence du pays. Mais je sais pertinemment que certains pays arabes ont reçu l'instruction de ne pas agir dans le sens de la paix et du dialogue entre les libyens. Les présidents de certains pays arabes n'ont pas le degré de liberté souhaité par leurs peuples afin de dire non aux américains, aux britanniques et aux français. Pour l'instant, il ne reste que l'Algérie et la Syrie qui peuvent le faire. C'est la réalité de cette Ligue arabe, dont le président Amr Moussa est en train de faire cavalier seul. Et il fait tout pour cautionner les américains. Ce n'est pas moral de la part de ces responsables. C'est l'histoire qui retiendra ces faits. Apparemment, vous voulez dire que la Ligue des Etats arabes est illégitime et ne dispose d'aucun pouvoir. Elle est là pour servir les intérêts des pays occidentaux ? C'est la réalité. Sinon pourquoi n'essaye-t-on pas d'envoyer des délégations de présidents et de grandes personnalités pour réconcilier le peuple libyen avec toutes ces tribus. Qu'est-ce qui empêche une telle action de nouer les fils du dialogue entre les différentes parties de la société pour une entente nationale. Il ne suffit pas d'exclure l'espace aérien pour dire que nous avons solutionné le problème du frère libyen. C'est indigne comme message. Mais, je le répète encore une fois, il ne faut pas se faire d'illusions sur le fonctionnement du monde. Les interventions dites humanitaires dans les temps actuels sous-entend une vision d'accaparement des richesses et des matières premières. C'est un nouveau système de partage des richesses d'autrui qui se met en branle. C'est la théorie des dominants et du plan du Grand Moyen- Orient qui se mettent en place par des méthodes moins musclées que celles du passé. Mais, la finalité est toujours la même. Selon vous, la position algérienne est juste dans le contexte actuel du conflit ? Personnellement, je suis contre ce qui a été écrit par certains journaux algériens à propos de la position algérienne. Mais, je comprends bien qu'il s'agissait plutôt d'avis personnels de certains hommes de la presse. Le principe de non-ingérence est acceptable. D'un autre côté, il faut admettre qu'il y a une grande partie du peuple libyen qui souffre de la dictature et de la guerre civile. On parle de 6000 morts. Il va falloir vérifier les chiffres et se méfier des rapports médiatiques. Des rapports qui sont loin de la réalité des libyens. Il faut avouer que nous sommes aujourd'hui formatés et conditionnés par les avis des médias occidentaux. Les médias arabes essayent de se rapprocher de la réalité, mais avec des prises de position qui ne cadrent pas avec le professionnalisme. Pratiquement, on peut dire qu'il n'y a pas d'objectivité. Lorsqu'on voit le «philosophe» Bernard Henri Lévy intervenir à partir de Benghazi et appeler l'Elysée pour soutenir la rébellion, je suis en droit de douter de cette rébellion d'autant plus qu'elle a jailli du néant. Nous avons vu le drapeau de l'ancienne Libye coloniale, du temps du roi Idriss, brandi par les libyens. En clair, on veut instaurer un nouvel ordre colonial. De ce point de vue-là, je comprends parfaitement la position algérienne, une position de méfiance et de prudence, car les éléments d'informations sont totalement erronés et infondés. Il faut être très regardant pour pouvoir formuler une position ferme et appropriée. Aujourd'hui, on constate que l'armée de Kadhafi a repris le terrain. Les Occidentaux n'osent pas intervenir, parce qu'il n'ont pas toutes les données. Le journal New York Times a écrit hier que les chefs des insurgés libyens sont une boîte aux lettres. Ils ne savent qui est qui. Les Américains sont en train de peser le pour et le contre, étant donné que la situation est en faveur de Kadhafi, qui va certainement accepter de redistribuer les richesses entre les compagnies pétrolières au détriment de la Chine. Propos recueillis