Participant à un colloque sur le «printemps arabe» au Quai d'Orsay, Alain Juppé a dit haut et fort ce que les Occidentaux murmurent tout bas. Trop longtemps, ceux-là ont pensé que les régimes autoritaires étaient les seuls remparts contre l'islamisme radical dans le monde arabe. Durant des décennies, cet état de fait a impliqué une abondante complaisance à l'égard de certains de ces dirigeants qui ont fini par abuser de leur statut de gardiens de la maison Occident. Il n'y a plus à craindre le changement, a prodigué le patron de la diplomatie française. Les futurs partenaires arabes sauront également être à la hauteur des attentes anti-djihadistes de l'Ouest. Et ce n'est pas parce que le ministre de la Défense français, Gérard Longuet, a été la cible d'attentat en Afghanistan que la vision de Paris va changer. Il faut faire confiance aux remplaçants de Moubarak, de Ben Ali… Evidemment, cet optimisme parisien n'est pas de nature à atténuer les appréhensions grandissantes de l'Etat hébreu. Benjamin Netanyahou le répète là où il passe, la démocratisation pourrait bien jouer de vilains tours à la sacro-sainte alliance israélo-occidentale. A la première lecture, ce serait un éventuel changement de régime à Damas qui empêcherait les colons israéliens d'enchaîner les nuits blanches. Surtout que le conglomérat des oulémas musulmans vient de signifier clairement à la Syrie que ce n'est pas parce qu'elle est en première ligne de front dans le conflit au Proche-Orient qu'elle peut se permettre d'étouffer la voix de son peuple dans le sang. Alors que le régime de Bachar Al Assad s'accroche comme il peut, c'est le gouvernement intérimaire du Caire qui continue de faire mettre la puce à l'oreille de Netanyahou. Après s'être dit disposé à rétablir ses relations diplomatiques avec le régime de Téhéran et après avoir permis le passage de bâtiments de guerre iraniens par le canal de Suez, faisant cap sur la Syrie, l'Egypte post-Moubarak avance à petits pas sur l'échiquier régional. Avec l'appétence de se mesurer à la Turquie qui, elle, a fini par reprendre langue avec Israël après avoir critiqué sèchement le plan durci contre Ghaza, avoir payé le prix fort du piratage d'Etat en haute mer et avoir annulé de manœuvres militaires communes avec l'Etat hébreu ? Dirigé provisoirement par le Conseil suprême de l'armée, le pays des pharaons ne semble pas vouloir s'arrêter au seul rapprochement avec le régime iranien. Il a entrepris d'autres démarches claires qui prouvent que sa stratégie post-révolution est bel et bien en train d'être modifiée. En plus d'arrêter la construction d'un mur métallique souterrain, dont l'objectif était d'empêcher la contrebande d'armes entre la bande de Ghaza et l'Egypte, et l'ouverture du passage de Rafah, le gouvernement transitoire du Caire a récemment accueilli, à bras ouverts, Mahmoud Al Zahar, ministre des affaires étrangères du Hamas palestinien. Il a même eu droit à des entretiens avec de hautes personnalités politiques égyptiennes, des responsables militaires et du renseignement. Cet assouplissement de la position du Caire vis-à-vis des islamistes de Ghaza aurait de quoi alarmer l'Etat hébreu qui, pourtant, au lendemain de la chute de Moubarak avait eu la garantie que les accords passés avec l'Egypte vont être maintenus. Depuis, les lignes n'en finissent pas de bouger, Israël redoute que le printemps du Caire donne raison à la résistance palestinienne que Tel-Aviv continue de considérer comme mouvement terrorisme, aux côtés du Hezbollah libanais. Faisant partie du gouvernement Sarkozy, qui tient à préserver ses excellentes relations avec Tel-Aviv, Alain Juppé aurait-il mal fait de se prononcer en faveur d'un changement de régimes à travers le monde arabe que la France n'a pas objectif à inciter, mais se tient prête à soutenir par tous les moyens pour faire cesser les violations des droits de l'homme ? Netanyahou est contraint de prendre acte.