«Vivre petit chez soi est mieux que de vivre grand chez les autres», un adage que les étudiants algériens n'ont pas l'air de comprendre, ou du moins ne veulent pas voir sous cet angle. Ont-ils raison, ont-ils tort ? Personne ne pourrait savoir, bien que la majorité rejette l'option du retour au pays après avoir terminé un cursus, brillant pour les uns et moyen pour les autres. Les avis diffèrent selon la nature des études effectuées. Pour les sciences sociales, l'ensemble des étudiants préfèrent le retour au pays, mais pour les sciences technologiques et médicales, le retour est synonyme d'échec. Chaque année, l'ambassade de France à Alger délivre des centaines de «visas d'études» à des étudiants algériens ayant effectué un cursus universitaire, (licence, mastère et doctorat). «Dans le cadre de la politique de l'immigration choisie, la France a besoin d'une main-d'œuvre qualifiée», disait lors d'une conférence de presse un responsable de l'ambassade de France à Alger. Ce qui est perçu par les étudiants comme étant une porte ouverte pour eux afin de terminer leurs études et de mener une vie en adéquation avec leurs statuts respectifs. Mourad est arrivé en France en 2007, il a fait des études en pharmacie à Alger ; diplôme en poche, ce jeune originaire de Tizi Ouzou entame des démarches auprès d'une université parisienne pour une inscription en mastère I, une demande acceptée par l'université française et le jeune entame les démarches administratives chapeautées par le centre culturel français à Alger. «Dès mon arrivée, je me suis rapproché de mon université et j'ai accompli les formalités nécessaires pour une inscription définitive. Je n'avais personne en France pour m'accueillir, sauf quelques copains de fac qui m'ont hébergé pendant quelques mois avant que je trouve un studio et un emploi à temps partiel comme serveur dans un restaurant», raconte-t-il. Les premiers mois de ce jeune étudiant ont été très difficiles. «Je restais sans manger pendant deux jours, j'ai connu des moments difficiles, j'étais hébergé chez un copain qui n'avait pas assez d'espace chez lui, et pour le travail, là où je demandais, on refusait de m'embaucher. Sincèrement, je ne pouvais pas suivre dans ces conditions». Le jeune étudiant ne s'est pas laissé abattre par une situation qu'il a choisie et dont il était conscient. «Quand j'ai décidé de partir, je savais que j'allais connaître des moments difficiles, mais à la différence de l'Algérie, en France quand tu travailles tu arrives et actuellement, je travaille dans une multinationale du médicament, je gagne très bien ma vie et j'ai même la nationalité française. Un document qui m'a été remis avec l'aide de mon université. La France reconnaît les gens compétents et les récompense.» Le cas de Chahinaz est similaire à celui de Mourad : après des études en médecine, la jeune fille prend son diplôme, son passeport et direction… Paris. «J'ai eu du mal à m'inscrire en médecine vu que le niveau de nos études médicales en Algérie est inférieur à celui de France. Mais je peux vous dire qu'après un cursus de trois ans sans relâche, j'ai réussi à décrocher le fameux sésame français, je suis médecin spécialiste en gynécologie et mon chef est un professeur en médecine d'origine … algérienne. Comme quoi nous ne sommes pas les seuls, mais les plus compétents et des sommités algériennes sont des chefs en France. On peut bien vivre grand même en dehors de chez soi», a commenté la jeune fille. «J'ai honte de rentrer au pays» A travers nos balades à travers les facultés et universités françaises, on s'aperçoit que les cas de Mourad et de Chahinaz ne sont en fait que des exceptions, car entre le nombre d'étudiants qui arrivent chaque année en France et le chiffre de ceux qui réussissent, le fossé est assez grand. Djamel, Fatah, Merouane et les autres sont de jeunes pleins de vitalité, très optimistes, diplômés. Mais ils ont «échoué». «Je me suis trompé de pays ou c'est le pays qui s'est trompé de moi. Je croyais que la vie était facile en France, et qu'il suffisait de travailler comme on le faisait en Algérie et on pouvait vivre comme des rois. Mais la réalité est tout autre, d'ailleurs je lance un appel via votre journal à mes compatriotes, notamment les étudiants, de rester au pays ; en France on n'est pas les bienvenus et on n'est pas considérés à notre juste valeur», a souligné Djamel. Ce jeune étudiant d'Annaba est arrivé en 2005, cela fait six ans qu'il vit en France… sans papiers, alors qu'il avait tout pour réussir au pays. «J'avais la possibilité de vivre normalement en Algérie, mais j'ai préféré venir en France, et six ans après, je suis toujours à la case départ», a-t-il dit. Un retour au pays est-il envisageable ? «Je veux bien mais j'ai honte, je préfère rester ici, manger dans les restos du cœur et dormir dans des salles de prière de banlieue que de rentrer au pays avec ma veste. Ma vie est ratée et les chances de me relever sont infimes.» Même cas pour Merouane qui est arrivé en 2005 ; ce jeune homme de Blida est ingénieur en aéronautique, il est venu pour un mastère dans la même filière, mais joindre les deux bouts, études et travail, n'est guère chose facile. «A mon arrivée j'ai été chez ma tante, mais au bout d'un moment, son mari, ses enfants et elle-même en avaient marre de moi, j'avais le même rythme que chez moi à Blida, et il m'était difficile d'allier travail et études, donc je me suis retrouvé dehors. Dormir sous un pont je connais ce que c'est, fouiller dans les bacs à ordures aussi», a raconté Merouane. Le jeune ingénieur avait l'intention de rentrer au pays en 2009, mais ses parents l'ont dissuadé. «Je voulais rentrer définitivement, car ici je mène une vie de chien, sans papiers, sans travail, sans logement, et le pire 'rani fi blad ennas' (je suis dans le pays des autres). Mais ma mère m'avait dit ne rentre pas, y a rien à faire ici, reste là où tu es et débrouille-toi comme tu peux. Si je rentre en Algérie je ne verrai plus jamais la France car je suis grillé vis-à-vis des autorités françaises et en Algérie, j'ai trop peur du regard des autres», a conclu Merouane. Les associations, la religion et les gangs Les étudiants qui n'ont pas réussi pour une raison ou une autre à s'intégrer se retrouvent victimes de la rue, des associations, de la religion et même des gangs, car ils sont une cible idéale pour ces mouvements, officiels ou officieux, à la recherche de jeunes désœuvrés, perdus ou en perte de repères. Un témoignage poignant et déchirant d'une fille qui aurait pu rester dans son pays et vivre normalement. Mais le destin en a décidé autrement. Fatiha en est une. La jeune fille est partie pour des études supérieures en chimie industrielle, mais la dureté de la vie et la crise économique vécue par la France ont participé à l'échec et à la perte de cette jeune fille. «Je suis hébergée chez des sœurs blanches qui sont très gentilles et je travaille chez elles moyennant ma chambre et ma nourriture ; c'est de l'esclavage mais au vu de ma situation, je tiens à les remercier. J'ai été victime d'un viol par un groupe de jeunes des cités en octobre 2010 dans une station de métro de la banlieue ; je suis sortie du cinéma vers minuit, et ce groupe est arrivé au même moment, on m'a arrosé avec une bombe lacrymogène et le lendemain je me retrouve dans la rue, habits déchirés et pleine de sang… nous a-t-elle raconté en marquant un long moment de silence… des larmes sur les joues. Mon père est mort sans que je le voie, ma mère est malade et ma vie est partie en fumée. Je ne peux plus rentrer au pays, tout est fini pour moi, j'ai échappé à trois tentatives de suicide, je ne suis pas près de m'arrêter là». Nabil est juriste et c'est un autre échantillon de ces étudiants algériens pour lesquels le pays débourse des sommes faramineuses pendant une vingtaine d'années pour qu'ils se retrouvent dans les rues des autres pays à la recherche uniquement d'un bout de pain ou d'un sachet de lait. Nabil s'est marié après un an de vie commune avec une Française d'origine algérienne, son épouse avait quitté déjà depuis longtemps le domicile familial pour rejoindre un gang de la cité spécialisé dans la vente de drogue. Le jeune juriste s'est retrouvé pris dans un filet, sans défense, il était contraint de vendre de la drogue pour le compte de sa femme et de son gang jusqu'au jour où il se fait arrêter et emprisonner. «Quand je me rappelle ces moments, j'ai honte, mais c'est la vie, on n'y peut rien. Si je suis resté avec cette fille, c'est juste pour avoir mes papiers et elle le savait, alors que les autres cherchent à acheter la fameuse carte de séjour avec des sommes importantes en contractant des mariages à blanc mais sans grand succès, car la plupart du temps, ils se font arnaquer», a expliqué Nabil. Ces jeunes étudiants sont en majorité partis pour mieux vivre ailleurs, vu que les offres dans notre pays sont limitées ; ils sont partis pour donner un sens à leur vie, mais la vie n'est pas toujours ce qu'on croit, elle est pleine de surprises, de bonnes mais aussi de mauvaises. Alors vivre grand ou petit ici ou ailleurs, pour eux, c'est du pareil au même. De notre envoyé spécial à Paris Elias Melbouci