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Le désarroi des sinistrés de la cité Faïzi de Bordj El Kiffan
Leur calvaire dure depuis 6 ans
Publié dans La Tribune le 03 - 11 - 2009

«Beaucoup parmi nos voisins ont quitté les lieux. Pour eux, c'était le seul moyen d'échapper à une mort qui semblait certaine. Ceux qui n'ont pu être hébergés par des proches ou des amis ont préféré louer un garage ailleurs. Personnellement, j'ai laissé mes enfants chez mes gendres et mes frères.
Je ne pouvais plus supporter de les voir mourir à petit feu. L'air irrespirable et l'humidité ont fait qu'en un laps de temps, ils ont contracté plusieurs maladies.» C'est en ces termes que s'exprimera une dame habitant le bâtiment «F» de la cité Faïzi (Bordj El Kiffan), abritant quelque 80 familles, lequel a été sérieusement ébranlé par le séisme du 21 mai 2003. A cette époque-là, et au regard du degré des dégâts provoqués par la secousse tellurique, des experts n'ont pas hésité à classer cet immeuble en catégorie «rouge», c'est-à-dire qu'il était impossible à restaurer.
Au lendemain de ce terrible séisme, et après un bref «séjour» sous les tentes, les autorités de la commune de Dar El Beïda, dans la confusion et la précipitation qui caractérisait l'époque, ont décidé de recaser les habitants du bâtiment «F» dans des chalets, dans l'attente de la rénovation de leurs logements. En lieu et place d'un «bref» séjour comme cela a été promis aux habitants (à l'époque, les responsables leur avaient certifié que la rénovation ne saurait excéder 18 mois !), ces derniers y resteront 6 longues années. Mais, peu importe, se sont-ils certainement dit, l'essentiel est que leurs logements soient retapés et qu'ils pourront, à l'instar de bon nombre de leurs concitoyens, avoir leur propre chez- soi où ils pourront vivre en paix avec leur progéniture. Mais, le 25 juillet dernier, date de leur retour vers leur lieu d'habitation initial (en application d'une décision d'expulsion des chalets datant de 2005), grande fut leur surprise lorsqu'elles se sont rendu compte que l'état des logements qu'elles occupaient avant le séisme du 21 mai 2003, n'a pratiquement pas changé d'un iota, comparativement à celui de la période antérieure au 21 mai 2003. Murs lézardés, plafonds effondrés, paliers cisaillés, outre les incommensurables fuites d'eau et une odeur nauséabonde caractérisent les lieux. Par endroits, il faut se pincer les narines pour pouvoir éviter ces nuisances. La stupéfaction des habitants était d'autant plus grande qu'une enveloppe de près de 7 milliards de centimes a été allouée pour la rénovation de la bâtisse. «El khedma li darouha mekhdouaa [le travail effectué ne répond pas aux normes en vigueur], cela saute aux yeux. Il ne faut pas être un spécialiste en la matière pour s'en rendre compte. Nous vivons le calvaire au quotidien. Parfois, il nous arrive de ne pas fermer l'œil de la nuit. La hantise que l'immeuble s'effondre sur nous est omniprésente. Ce fut le cas lors du dernier orage qui s'est abattu sur la région. La psychose provoquée par le tonnerre a été telle que l'écrasante majorité des habitants a refusé de retourner chez elle de peur de voir l'immeuble lui tomber sur la tête», nous dira un sexagénaire.
Les enfants et les personnes âgées, ces éternelles victimes
Nous invitant à pénétrer dans son appartement, un semblant de F3 situé au rez-de-chaussée où, pas moins de 15 personnes y vivent, (plutôt survivent), une vieille dame nous montrera un bébé (son petit-fils) âgé d'à peine un an et demi. C'est à peine si ce dernier pouvait ouvrir les yeux. La maladie l'a fortement affaibli à telle enseigne que sa voix était inaudible. «C'est l'eau et l'humidité qui ont eu raison de son corps frêle. Depuis notre retour ici, son état n'a cessé de se détériorer à telle enseigne qu'il ne marche pas convenablement. Pis encore, il ne joue pas comme ses semblables. Déjà que nous autres adultes n'arrivons pas à supporter ces conditions de misère, alors que dire des enfants et des bébés ?»,
s'interrogera notre interlocutrice. Debout à côté de cette dernière, sa voisine, ayant à peu près le même âge, dès qu'elle a eu vent de l'objet de notre discussion, s'empressera de «filer» chez elle, pour nous montrer, après une poignée de secondes, un sachet plein de médicaments. «Etant atteinte de nombreuses maladies, je dois, chaque jour que Dieu fait, prendre plusieurs de ces comprimés. Quelques jours seulement après ma venue ici, ce fut pour moi la métamorphose. Nous souffrons d'une promiscuité sans pareille au moment où des logements sont distribués à tort et à travers, notamment à des personnes qui ne sont pas réellement dans le besoin. On préfère de loin les difficiles conditions de vie dans les chalets [chaleur suffocante en été et froid glacial en hiver] à celles que nous endurons ici où l'épée de Damoclès plane en permanence sur nos têtes. On ne semble se souvenir de nous qu'à l'approche des élections mais après plus rien. En matière de justice sociale, le moins que l'on puisse dire est qu'il reste beaucoup à faire», nous dira-t-elle, dépitée, non sans s'étonner que par le passé, pas moins de 13 entrepreneurs ont été désignés pour la rénovation de la bâtisse «mais sans aucune incidence [positive] sur notre immeuble dans la mesure où ce dernier demeure inhabitable», ajoutera-t-elle.
Les avis de Sonelgaz et Cosider, un indice révélateur
Pour de nombreux habitants rencontrés sur place, le fait que Sonelgaz refuse d'alimenter en électricité et en gaz l'immeuble qu'ils occupent atteste, de manière indéniable, que ce dernier ne présente pas les garanties nécessaires pour pareille opération. Pis encore, Sonelgaz a procédé à la coupure de tous les fils et câbles allant vers (ou venant de) l'immeuble, consciente qu'elle est de l'imminence du danger si jamais l'alimentation en électricité était assurée. «Si l'OPGI de Dar El Beida ne cesse de répéter, à qui veut bien l'entendre, que notre immeuble a été rénové selon les règles urbanistiques et architecturales en vigueur, et que les habitants n'encourent aucun danger en l'occupant, pourquoi alors Sonelgaz refuse-t-elle de nos alimenter en électricité et en gaz ? Il est clair que, étant consciente du danger qui plane, Sonelgaz n'a pas voulu cautionner une situation qui risque de lui être préjudiciable dans le cas où un fâcheux évènement venait à se produire, d'autant que le problème des fuites se pose avec acuité et qu'il tend à exacerber la situation», nous dira un habitant de la cité. Et comme il faut bien que la vie continue, les habitants, ne pouvant vivre éternellement dans l'obscurité, se sont débrouillés, tant bien que mal, pour se brancher à l'électricité de l'un des poteaux situés non loin de leur immeuble. Pour certains d'entre eux, il ne fait pas de doute que l'argent initialement destiné à la rénovation de la bâtisse a été utilisé à d'autres fins. Emboîtant le pas à ces derniers, un autre habitant tiendra à nous informer que ce qui a été dit concernant Sonelgaz peut l'être pour Cosider (Entreprise spécialisée en bâtiment, génie civil industriel et ouvrages d'arts, ndlr) dans la mesure où cette dernière, sollicitée pour des travaux de rénovation, a purement et simplement décliné l'offre, refusant de mettre les pieds dans un terrain qui s'apparente plus à des sables mouvants. «Ils savent tous que c'est peine perdue. La bâtisse est irrécupérable. Tenter de la rénover relève de l'impossible. Les sommes englouties dans la rénovation constituent un véritable gâchis. «Rahoum yahalbou mour ettass» (leur travail est vain, il s'apparente à celui qui trait le lait de vache dans le vide, sans avoir au préalable préparé un récipient pour l'emmagasiner). Peut être n'ont-ils pas le courage de le dire. Car, pour eux, revenir en arrière et avouer leur erreur est synonyme de faiblesse», nous dira-t-il. Un autre habitant nous certifiera que Cosider a estimé que la destruction de la bâtisse et la construction d'une autre reviendrait moins cher que la rénovation de celle existante. «Même le contrôle technique de construction [CTC] de Chlef, après qu'il eut été destinataire de certains rapports sur son état, nous a conseillé de ne pas regagner nos appartements», ajoutera-t-il.
D'autres habitants rencontrés nous ont affirmé qu'après l'opération de «rénovation», ils se sont rendus compte qu'un appartement dont la superficie initiale était de 42 m2 a été réduit de 10 m2. De même qu'un appartement de 34 m2 est passé à 26 m2. Nous avons tenté d'avoir la version de l'OPGI de Dar El Beida, en vain. Selon des échos qui nous sont parvenus, cette dernière affirme que les travaux ont obéi scrupuleusement aux normes techniques, notamment celles ayant trait aux opérations de coulage de béton. Quoi qu'il en soit, les habitants ne comptent pas rester les bras croisés devant pareille situation. Selon eux, des lettres ont été envoyées à la présidence de la République ainsi qu'à des organisations de défense des droits de l'Homme afin de leur faire part des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles ils vivent. D'aucuns n'ont hésité à nous dire que lors de la visite que le président de la République avait effectuée à cette cité au mois de Ramadhan de l'année 2003, très peu de choses lui ont été dites au sujet des conditions de vie des
habitants. «Nous sommes convaincus qu'on lui a caché beaucoup de choses. On se demande bien qui a intérêt à ce que la vérité soit tue. Peut être attend-on que l'irréparable se produise, comme cela a été le cas malheureusement souvent dans notre pays, pour que l'on daigne enfin réagir. Mais ce jour-là, ce sera trop tard», concluront nos interlocuteurs.
B. L.


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