Au-delà de la vie misérable qu'ils mènent, les étudiants, plus ils avancent dans leur cursus, plus ils font de nouvelles découvertes. Mener à terme son cursus universitaire en Algérie relève du parcours du combattant. Que de «châtiments» à subir et que de chemin à parcourir avant «d'échouer» sur les rivages de la vie active, muni d'un diplôme qui, en fin de compte, s'avère dérisoire. Dérisoire parce qu'il n'est reconnu dans aucun pays du monde. Il faut le dire et, mieux encore, le souligner en rouge : l'université algérienne est tombée dans le trente-sixième dessous. La situation ne cesse d'empirer. «Depuis que je suis arrivé à l'université, voilà maintenant cinq ans, les choses vont de mal en pis», déplore un étudiant en 4e année de psychologie à la faculté des sciences humaines et sociales de Bouzaréah, à Alger. «On passe sa vie à s'ennuyer. On voit les jours glisser entre ses mains comme une poignée de sable, sans pour autant pouvoir faire quoi que ce soit. Nous sommes coincés et condamnés à mener cette vie jusqu'à la fin du cursus et puis on verra...», ajoute notre interlocuteur sur un ton désespéré. A se fier aux déclarations des étudiants, on déduit que l'université est un lieu de prédilection pour fuir le temps. Néanmoins, cette idée s'estompe et s'évapore d'elle-même dès qu'on donne la parole à ses occupants. Le commun des mortels s'accorde sur un principe: la fac est un lieu de culture, de savoir et de science. Toutefois, à s'aventurer dans ses dédales, on découvre un autre visage qui nous fait comprendre que ce que nous venons de voir n'est qu'un masque. La note de la misère C'est un masque et des plus sordides. En effet, au-delà de la vie misérable qu'ils mènent quotidiennement, les étudiants, plus ils avancent dans leur cursus, plus ils font de nouvelles découvertes, à leur grande surprise. Et la surprise est d'autant plus grande pour le sexe féminin. Curieusement, c'est à la fin de l'année que la véritable mésaventure commence. Cela arrive à la fin des examens. Les délibérations se font quelques jours plus tard. Certaines étudiantes découvrent alors que leurs notes ne correspondent guère au travail et aux efforts qu'elles ont fournis. Leurs notes sont en deçà de toutes leurs espérances. Commencent alors les «tractations» avec l'enseignant. «Les pourparlers» ne dépassent pas quelques minutes. Les intentions du «prof» sans conscience sont vite dévoilées, ignobles. «Un de mes enseignants me l'a signifié carrément et sans scrupules: je reconnais que vous avez travaillé et que vous méritez mieux que cela mais...j'ai envie de...toi...», nous raconte Nadia, étudiante en sociologie, sans pour autant réussir à achever sa phrase convenablement. Après un petit effort, elle lâche enfin, non sans indignation: «Il m'a demandé de passer une nuit en sa compagnie à Sidi-Fredj, ajoutant que mon problème sera réglé le lendemain, à la première heure». «Devant mon refus catégorique de tomber dans son jeu et la menace de le dénoncer, il me répond par ces propos: «va voir qui tu veux et tant que je prends en charge ce module, tu seras condamnée à passer ta vie à l'université», ajoute Nadia. «Et il n'a pas hésité à mettre ses menaces à exécution». Ceci est malheureusement une vérité que nul ne peut contester. Le cas de Nadia n'est en effet qu'un petit échantillon parmi tant d'autres. Et souvent, lorsque «la cible» refuse de courber l'échine et de satisfaire la libido de son enseignant, elle devra alors chercher un autre moyen de s'en sortir tout en gardant la tête haute. Et le chemin le plus sûr est celui du bakchich, la «tchipa». «Lorsque j'ai refait l'année, je suis tombée entre les mains du même prof. Retour donc à la case départ. A la fin de l'année, suivant le conseil d'une copine, je suis allée voir un employé à l'administration. Celui-ci a exigé la somme de 5000 dinars», nous raconte Nadia. «Comme je n'avais pas le choix, poursuit-elle, j'ai dû emprunter à gauche et à droite cette somme faramineuse et mon cauchemar a pris fin.» Selon des agents de l'administration, il existe à l'université de véritables réseaux de ce genre. Ainsi, certains enseignants malhonnêtes et «administrateurs» sans scrupules travaillent en étroite collaboration. Et l'étudiant se retrouve dans l'obligation de payer la rançon. Le prix de sa note. Faut-il se méfier des enseignants? Que non, car il existe bel et bien des professeurs qui n'acceptent en aucun cas et en dépit de leur situation sociale délicate, ce genre de pratiques. Préférant ainsi donner un sens à la noble tâche qui leur est assignée, à savoir la transmission du savoir. Toutefois, certaines sources parlent de «trucages» qui se font à l'intérieur même de l'administration. Quel genre de trucages et comment cela se fait-il? L'opération est toute simple, en voici donc la recette. Lorsque les copies d'examen parviennent à l'administration, des «mains invisibles et démoniaques» revoient les notes. Cela, bien sûr, tout en choisissant la victime. Ainsi, lors des délibérations, les notes affichées sont autres que celles que l'enseignant a attribuées. Cependant, si l'étudiant découvre ce «trafic» et qu'il va se plaindre auprès du correcteur de sa copie, qui est aussi son enseignant, il est fort probable que l'erreur sera corrigée. Cela sera justifié, par la suite, par le simple prétexte de «faute de frappe». Les sentiers de la prostitution «Occupation: étudiante. Profession: prostituée». Cela se passe dans une boîte de nuit à Alger. En y entrant le soir, plusieurs figures féminines qu'on voit la journée à l'université, viennent ici pour se faire du fric. Vous qui êtes de passage devant les cités universitaires filles, ne soyez pas étonnés du nombre de voitures rutilantes et flambant neuves stationnées à l'entrée. C'est en effet ici le marché de «la bonne chair». Les étudiantes, souvent en quête d'argent, se font avoir par des jeunes issus des quartiers huppés de la capitale. Si certaines filles le font pour s'amuser et profiter de leur jeunesse, d'autres s'y adonnent par pauvreté. Issue de l'intérieur du pays, Asma affirme fréquenter les boîtes de nuit juste «pour aider ses parents pauvres». «A la maison, tout le monde croit que je travaille vraiment. Chaque mois, en rentrant, je leur apporte tout ce dont ils ont besoin. Je sais qu'ils ne pourront jamais découvrir la vie lascive et licencieuse que je mène», souligne notre interlocutrice qui refuse le qualificatif de prostituée. Elle affirme, néanmoins, ne jamais regretter son geste «du moment que je sais qu'à la fin de mon cursus, j'aurai de fortes chances de trouver un emploi et je peux espérer encore plus». Asma nous apprend en outre l'existence de proxénètes dans l'enceinte même des résidences universitaires. «Ce sont d'anciennes étudiantes qui ont pu décrocher un job ici à Alger et à qui on a octroyé des chambres. Cela, sous les yeux bienveillants des agents de sécurité qui cautionnent leurs pratiques». A noter dans cette optique que ce phénomène se passe dans la plupart des cas au vu et au su des responsables des résidences universitaires. Cependant, il existe comme un pacte tacite entre eux et ces anciennes étudiantes. Par ailleurs, ce qui est frappant dans cette histoire, c'est le nombre d'étudiants et étudiantes qui viennent tout juste de débarquer à l'université et qui n'ont pas bénéficié de chambres à la cité universitaire. On ne comprend vraiment plus rien lorsqu'on apprend que des chambres sont inoccupées et que des étudiants cherchent chaque soir, un gîte pour passer la nuit. Y a-t-il un capitaine dans le bateau pour contrôler et mettre un terme à cette situation dramatique? Assurément pas. C'est négatif car ce problème se répète indéfiniment. Et avec les masses estudiantines qui arrivent, l'on se demande comment le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique compte régler ce problème. Et comment, par là même, l'Office national des oeuvres universitaires (Onou) compte le gérer. C'est, en effet, un véritable casse-tête chinois. Cela en dépit des assurances de M.Rachid Harraoubia qui affirme que son département «réceptionnera quelque 70.000 places pédagogiques et un nombre important de lits». Toutefois, la situation demeure telle quelle. Autre phénomène qui apparaît au grand jour et qui vient s'ajouter à la ribambelle de fléaux secouant l'université: les vols. En effet, lors de la grève déclenchée pendant le mois en cours à la faculté des sciences économiques et des sciences de gestion de Dely Ibrahim, les étudiants affirment que plusieurs agressions physiques ont eu lieu à l'intérieur même de la fac. Ces violences nous affirme-t-on sont perpétrées par des individus étrangers à l'université. Ainsi donc, l'université algérienne n'arrive toujours pas à s'extirper de la mélasse. Pourtant , selon un analyste, «l'étudiant coûte à la collectivité 100.000 DA par an, soit en moyenne cinq à sept fois moins que le coût d'un étudiant en Europe». Une situation à méditer.