Plus le pays est riche, plus l'élève risque de trouver les cours de sciences ennuyeux et inutiles. Plus le pays est pauvre, plus son intérêt est élevé. L'étude n'est pas encore terminée, mais voilà un des premiers constats dégagés par le Projet de recherche international sur l'utilité de l'enseignement des sciences (ROSE, pour Relevance of science education). Si on classe les pays en fonction de l'indice du développement humain des Nations unies, les deux courbes se suivent en parallèle. Au bas de l'échelle, dans des pays comme le Bangladesh ou le Ghana, le désir de devenir un scientifique parmi les enfants de 15 ans est à son plus fort. Alors que l'Algérie se classe à la 104e place (sur 177), El Watan a demandé à des scientifiques algériens que leur inspire cette conclusion ? Ahmed Djebbar, professeur émérite en mathématiques et en histoire des mathématiques, Université des sciences et des technologies de Lille Le rapport renvoie essentiellement, non pas à l'idée que se font les jeunes du contenu et de l'efficacité des sciences (qu'ils ne peuvent pas encore appréhender), mais de l'image de la science qui a fini par se constituer dans leur esprit. Or, cette image leur provient, essentiellement, de deux canaux. En premier lieu, leur propre pratique des sciences dans le cadre de leur cursus scolaire. Dans ce cas, il est possible que le contenu des sciences enseignées apparaisse (malgré la faiblesse de niveau d'un certain nombre d'enseignants) plus attrayant que le contenu des autres disciplines et apportant des connaissances plus tangibles. Pour prendre le cas de notre pays et ce, malgré les efforts observés depuis quelques années, la pauvreté et la médiocrité du contenu des disciplines littéraires ne laisse pas de choix aux élèves : ce qui est scientifique apparaît plus « sérieux », plus « moderne » et pour certains, plus « objectif ». Cette attitude, que j'ai observée dans ma pratique d'enseignant, est encore plus nette lorsque les sciences sont enseignées avec leur histoire. On y ajoute alors, en plus du contenu scientifique, ce contenu « culturel » très riche qui manque paradoxalement dans l'enseignement de la littérature et des sciences humaines en général. En second lieu, les jeunes des pays les plus pauvres (même si l'Etat de ces pays est parfois riche, comme c'est le cas en Algérie) ont été élevés dans un environnement familial et sociétal qui croit encore aux sciences et aux diplômes scientifiques comme instruments de promotion sociale (croyance de moins en moins partagée par les jeunes des pays développés). Et ce sentiment perdurera tant que l'environnement économique ne réussira pas à absorber les diplômés des sciences humaines et tant que certaines images négatives de la science (pollution industrielle, nucléaire militaire, etc.) ne viennent pas troubler la confiance des jeunes des pays pauvres dans les sciences et dans leurs effets positifs sur le développement. Mohamed Senouci, membre du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, président de l'association Recherche-climat-environnement, Oran A vrai dire, la question n'est pas nouvelle et les pays avancés s'inquiètent, depuis quelques années, d'un désintérêt croissant des jeunes pour les études scientifiques. Cette désaffection s'explique en partie par une perte du prestige des sciences dites « dures » en raison de nouveaux problèmes « éthiques » auxquels sont exposées les sociétés (pollutions industrielles, maladie de la vache folle, les OGM, le réchauffement climatique, etc.). Les sciences ne semblent plus intégrer les valeurs d'une nouvelle génération et n'offrent peut-être plus les mêmes opportunités d'emploi. Le cas de l'Algérie est curieux. Les facultés scientifiques peinent à attirer suffisamment de bons étudiants. Ceci nous rendrait donc proches des pays avancés ? Le pays n'est pas « pauvre » au sens financier… mais il est classé 104e par le dernier rapport sur le développement humain du PNUD. Alors, pauvre ? Riche ? Résumons : les pays avancés se sont développés (en partie) par la science et ils continueront à en produire (y compris en accueillant des talents scientifiques étrangers). Les pays en développement, eux, ont besoin de maîtriser la science (et de façon plus générale, le savoir) pour rendre plus efficaces, plus visibles et plus durable leurs politiques de développement. La voie raisonnable serait de préparer notre jeunesse au monde du savoir et de la connaissance. En supposant qu'il existe consensus sur l'utilité d'une telle démarche, l'idéal est de disposer du temps et des moyens de le faire. A défaut, le pire serait de s'appauvrir économiquement, scientifiquement et culturellement. Où en sommes-nous en Algérie ? Yacine Hemdane, docteur spécialiste en dynamique côtière et sous-marine et aménagement du littoral, Alger En effet, l'intérêt que portent les élèves des pays pauvres ou en voie de développement pour la science est substantiel. En ce qui concerne l'Algérie, la question est claire : comment profiter de ce grand intérêt que portent nos élèves à la science pour en produire une ressource humaine scientifique qui contribuera au développement du pays et de l'humanité ? A ce titre, je pense que la solution est entre nos mains en tant que scientifiques. A titre d'exemple, nous pouvons mettre en œuvre une association regroupant des scientifiques de toutes disciplines et qui aura pour objectif de s'inviter bénévolement dans des écoles primaires, des CEM et des lycées, afin d'expliquer aux élèves, par des expériences des phénomènes scientifiques, de les motiver davantage pour la science et de détecter, par conséquent, les futurs scientifiques potentiels. Je profite donc de cette occasion pour lancer un appel à mes confrères pour réfléchir à la faisabilité de cette action. Omar El-Hadj, enseignant au département d'informatique, Université de Chlef Le sujet me rappelle une anecdote racontée par un professeur de français : lors de la Seconde Guerre mondiale, les Vietnamiennes émigrées en France pour des études se classaient au rang des majors de promotion, devançant les Français ! Cette histoire justifie d'une certaine façon le résultat de l'étude. Avec des collègues, nous avons discuté de cette question. Un d'entre eux m'a dit : « Comment veux-tu que je transmette des connaissances à mes élèves ? Une partie arrive le matin, fatiguée, épuisée — certains n'ont même pas pris le petit déjeuner — alors que l'autre sait que les études ne lui apporteront rien en plus, parce que leur famille a de l'argent. Les deux sont souvent dépourvues de toute ambition. » A mon avis, trois paramètres essentiels influencent le niveau et l'apprentissage scientifique en Algérie : l'absence d'ambition et de motivation, qu'elles soient insufflées par les parents ou le système éducatif, la disparition de la classe moyenne de la société et la gestion du nombre au détriment de la qualité. Si on suppose que le pays est pauvre malgré sa richesse, on se demande pourquoi cette baisse ? Un autre collègue m'a répondu : « L'Etat fait semblant de nous payer, nous faisons semblant d'enseigner et les étudiants font semblant d'étudier ! » Aïssa Kadri, directeur de l'Institut Maghreb-Europe, Paris Le postulat « Pays riche : représentation chez les jeunes élèves des enseignements de sciences comme ennuyeux et inutiles, versus pays pauvre : intérêt élevé pour les sciences » ne me paraît pas fondé parce qu'il fait fi des conditions de socialisation primaire et plus largement des conditions socio-culturelles qui prévalent dans la construction des représentations dans chaque pays, à l'égard des savoirs, du travail, du corps et de l'avenir ; des conditions qui tiennent aussi bien au milieu familial et social qu'à l'environnement culturel. Cela dit, si on prend au sérieux ces résultats on peut émettre l'hypothèse que le désintérêt des élèves pour la science dans les pays — je préfère dire développés plutôt que riches — procède d'un décalage entre le fait que les sciences dans leur développement, leur production, leur appropriation et usage dans ces sociétés se sont largement démocratisés jusqu'à irriguer l'ensemble de la société alors que dans le même moment, les modèles pédagogiques sont restés essentiellement humanistes et peu adaptés à la rapidité des transformations sociales, scientifiques et technologiques ou qu'en tous les cas, ils ne donnent pas les moyens pédagogiques de l'appropriation des objets techniques en transformation constante (ce qui explique le terme ennuyeux). S'agissant du cas algérien, pour paradoxal qu'il soit, puisqu'il s'agit d'un pays formellement riche avec un peuple majoritairement pauvre, l'intérêt, les mobilisations familiales et celles des élèves pour les sciences, et de manière générale pour les savoirs et l'école, apparaissent indéniables et ceci en dépit d'une crise majeure du système d'enseignement. On pourrait, en prenant à la lettre les résultats de l'étude, avancer que l'Etat, qui en a donc les moyens, devrait soutenir encore davantage, en accompagnant cet engouement par la mise en place d'une réforme structurelle de fond. Jamal Mimouni, professeur de physique à l'université Mentouri, Constantine et président de l'association Sirius d'astronomie L'Algérie classée 104e, réjouissons-nous, nos élèves seraient presque les plus ambitieux de la planète ! Dans une veine plus sérieuse, disons que contrairement à la technologie, la science se plante plutôt que ne se transplante, une opération des plus délicates qui nécessite pour cela des jardiniers attentionnés et diligents. Le devoir pressant des scientifiques est d'être ces jardiniers et de s'investir avec leur société pour son avancement et lutter contre l'irrationnel rampant, puissant frein au progrès. Ils devraient aussi remédier à leur « déficit de communicabilité » chronique, problème rendu plus ardu par l'état de chaos, voire de schizophrénie linguistique dans lequel baignent notre société et les institutions de l'Etat, et dont les premières victimes sont les élèves. Elle a aussi besoin que l'on donne le bon exemple. On a bien fêté l'Aïd El Kébir cette année encore sur la base d'un croissant qui a été prétendu vu, alors que la Lune était en dessous de l'horizon lors du coucher du Soleil, mais personne n'a sourcillé à cet attentat contre des vérités cosmiques ! Nos responsables respectent-ils assez la science, l'intelligence, la raison ? Mustapha Meghraoui, responsable du laboratoire de tectonique active à l'Institut de physique, Strasbourg Le constat date de 2002 et la tendance du manque de jeunes (plus de 15 ans) dans les filières scientifiques a été récemment confirmée pour l'ensemble des pays développés. Dans ces pays, l'utilité de la formation en sciences et technologie est perçue comme un renforcement des capacités du développement social (intellectuel et matériel) et une maîtrise des problèmes futurs. L'engouement pour les matières scientifiques des jeunes des pays en développement est en partie dû au progrès de la circulation des informations par les ordinateurs et « cafés Internet ». Même si le rapport ROSE doit être relativisé car l'étude n'a été faite que pour 25 pays, le constat traduit une réalité qui montre la nécessité pour les jeunes des pays en développement de croire aux progrès apportés par les sciences et la technologie. Ceci peut se vérifier pour des filières aussi différentes que la médecine ou l'aéronautique. L'Inde, aujourd'hui classée au 128e rang par l'OCDE, est le pays qui voit ses filières en informatique exploser et son élite devenir un recours pour les grandes institutions bancaires, entreprises industrielles et constructeurs d'ordinateurs. L'Algérie dispose d'un fort potentiel de jeunes qui demande des infrastructures scientifiques et technologiques accompagnées de programmes de recherche et de développement sur le long terme. Ces programmes peuvent cibler des questions scientifiques fondamentales qu'affronte notre pays (telles que les ressources en eau, risques naturels et désertification,…) ou des développements technologiques (tels qu'en physique et énergie solaire, en biotechnologie,…). La soif des connaissances se constate continuellement dans notre pays et l'excellence de nos jeunes dans les institutions scientifiques des pays développés est reconnue. Cette aspiration à la connaissance est un signe de vitalité qui ne doit pas être déçu.