C'est officiel, le récent attentat de Marrakech n'est pas l'œuvre macabre de l'Aqmi mais d'un djihadiste solitaire marocain, admirateur d'Al Qaïda. Après avoir échoué maintes fois à rejoindre les «points chauds du terrorisme», le principal suspect aurait fait le choix de mener le djihad à sa manière. A un niveau local. Il aurait passé six mois à ramasser des clous, avant de parvenir à rassembler les pièces de son engin explosif. S'agit-il d'un «acte isolé» devant lequel les autorités de Rabat n'ont pas d'immenses soucis à se faire ? Surtout qu'Al Qaïda au Maghreb islamique a nié toute implication directe ou indirecte dans l'attentat du café Argana ? La seule présence de courtisans de l'idéologie fanatique de feu Ben Laden est déjà source d'inquiétudes. En matière de terrorisme local, le passage à l'action d'«électrons libres», demeurant tout à fait incontrôlable. Le seul fait que leur éventuelle neutralisation intervient souvent après le forfait doit embarrasser le royaume chérifien. D'autant que le nombre de ces cellules dormantes sur le sol du Maroc ne semble pas être connu. Y aurait-il possibilité d'une future connexion entre ces mêmes cellules -adoratrices de l'islamisme radical mondial et agissant par pur opportunisme-, et Al Qaïda au Maghreb islamique ? Certainement pas à court terme. Dans son communiqué, Aqmi a écrit ceci : «(...) nous nous employons à choisir le moment et le lieu qui ne seraient pas en contradiction avec les intérêts de la nation (musulmane) et son action vers l'objectif de sa libération». En termes clairs, Al Qaïda au Maghreb islamique n'a aucun intérêt à frapper au Maroc du fait que son ennemi proche, en l'occurrence la monarchie gouvernante, est en train de subir à son tour le poids des aspirations démocratiques du peuple marocain. Al Qaïda dans la péninsule arabique choisissait un même attentisme quand la révolution égyptienne battait le pavé au Caire, les commanditaires de l'attentat contre l'église d'Alexandrie avaient fini par être démasqués. Aussi au Yémen, Al Qaïda locale ne montrant ses crocs que quand le régime de Sanaa la pousserait à bout. Ce qui laisse croire qu'Al Qaïda va faire preuve du même immobilisme en Syrie. Pourquoi donc interrompre ce processus de libéralisation que Ben Laden et ses lieutenants n'ont pas réussi à imposer par les bombes ? A ce point, Aqmi «compte» sur ses ennemis occidentaux pour l'imposition de réformes politiques et sociales qui, dans le cas du royaume chérifien, ne déboucherait pas sur un renversement de l'ordre monarchique ? Le chaleureux accueil, post-manifestations populaires, réservé par Mme Clinton à son homologue marocain, en dit long sur l'approche occidentale vis-à-vis de ce qui ressemble à une véritable «exception marocaine». Autre preuve de ce réformisme que l'Occident veut le plus modéré possible chez son ami proche, le gouvernement de Paris qui déclarait au lendemain de l'attentat de Marrakech que le Maroc restait une destination sûre. La France de Sarkozy ne peut se permettre de céder sa traditionnelle plate-bande, via un «déséquilibre démocratique» franc en faveur de l'opposition et la rue marocaines, ses tergiversations et ses déboires en Tunisie d'avant la chute de Ben Ali et son interventionnisme en Côte d'Ivoire ne lui garantiraient un leadership diplomatico-commercial régional des plus réconfortants. C'est aussi la vision «partagée» de l'Amérique d'Obama, qui malgré des différends entre atlantistes, n'est pas prête à prendre le roi Mohamed VI pour ennemi, la façade maritime qu'offre le Maroc est mille fois stratégique. A présent que l'Aqmi a réfuté toute implication dans l'attentat de Marrakech, Américains et Français ne finiraient pas d'attendre les représailles à travers lesquelles Al Qaïda internationale a promis de venger Ben Laden. Si elles venaient à avoir lieu, ce serait en dehors des frontières du royaume chérifien. Passé récent oblige.