Alors que se profile le choc entre le Maroc et l'Algérie, prévu le 4 juin à Marrakech, l'ex-international marocain Mustapha Hadji, Ballon d'or africain 1998, a bien voulu décrypter les enjeux de cette rencontre phare de la quatrième journée des éliminatoires de la CAN Orange 2012. L'ancien meneur de jeu des Lions de l'Atlas avait honoré en 1993 sa première sélection avec le Maroc, et se souvient du contexte qui avait prévalu sur ce choix à l'époque. La binationalité, un sujet qui lui tient à cœur et sur lequel il s'exprime sans concession, les mots choisis sont parfois lourds de sens. Mustapha, avant ce Maroc-Algérie du 4 juin, il y a eu cette première manche entre les deux pays, le 27 mars dernier (1-0 pour l'Algérie à Annaba). Qu'avez-vous pensé de ce match et quels enseignements peut-on en tirer ? Sur la première mi-temps, on sentait que les deux équipes étaient très motivées. Il y a eu beaucoup trop de déchets dans le jeu et d'engagement physique. On n'a clairement pas vu du bon football. Ce fut ensuite de meilleure qualité. Les joueurs étaient plus en place. Il est dommage que le Maroc ait pris ce but d'entrée, car cela a gâché les événements et le spectacle. Justement, penalty ou pas sur la main d'Hermache… Ce n'est pas évident. On va dire que je défends le Maroc mais je ne pense pas qu'il y avait penalty. Car ce n'est pas la main qui va au ballon mais le contraire. Après, il est certain qu'arbitrer ce genre de match n'est pas facile. Ce but a gâché le match… Le match va se disputer à Marrakech alors que certains préféraient Casablanca. Pensez-vous que le choix du stade soit si déterminant ? C'est important. A Casablanca, on aurait pu avoir 80 000 personnes dans le stade. Et quand vous jouez à Casa, la pression n'est pas la même. Le public est plus fanatique. A Marrakech, les conditions sont idéales, la pelouse est magnifique. Au final, la seule pression qui vaille, c'est celle que les joueurs devront mettre sur le terrain. Je parle de pression dans le bon sens… Comment voyez-vous ce second match entre les deux équipes ? C'est toujours pareil. C'est un derby et on connaît les matches entre l'Algérie, le Maroc, la Tunisie ou l'Egypte. Le Maroc doit être dans le même état d'esprit que lors de la deuxième mi-temps. Ils auraient pu d'ailleurs revenir au score. Il ne faudra pas aller à la bagarre, il faut tenir le ballon et prendre le temps de développer son jeu pour trouver la faille face à cette défense algérienne, très bien organisée. Si on s'engage dans un combat physique, le match sera sans intérêt. Youssouf Hadji, Marouane Chamakh, Youssef El Arabi ou Mbark Bousouffa, l'armada offensive marocaine est impressionnante, le secteur défensif est, lui, moins prestigieux. Pensez-vous qu'il a un problème d'équilibre dans votre sélection ? Oui, c'est un petit peu le Real Madrid (rires). Depuis un petit moment, on a beaucoup de produits offensifs, on a toujours l'impression qu'on va faire la différence, qu'on va marquer, et finalement on ne passe pas. L'idée directrice, c'est que tout le monde participe. Et que les attaquants défendent aussi. Les Marocains ont les qualités individuelles pour faire la différence. Et l'équipe algérienne, comment l'avez-vous trouvée ? Qu'est-ce qu'elle dégage ? L'Algérie, c'est la solidarité et la combativité sur le terrain. Il n'y a pas de grands talents, mais c'est un groupe qui joue. Les uns travaillent pour les autres, et dans une équipe, on a plus besoin de cela que des individualités comme au Maroc. A mon avis, l'Algérie est un ton en dessous du Maroc, mais ce ne sont pas les qualités individuelles qui font la différence. Aujourd'hui, si les joueurs se mettent au service du collectif, on fera la différence. Finaliste en 2004 de la CAN, le Maroc connaît depuis un passage à vide alors qu'il semblait armé pour rester au premier plan. Comment peut-on l'expliquer ? Je pense que l'instabilité récurrente qui a régné au niveau de la fédération s'est répercutée sur les résultats de la sélection. Quant à Roger Lemerre, on ne peut pas lui en vouloir pour le travail fait. Il est arrivé à un moment délicat, après que Zaki eut fait des dégâts. Que faut-il faire pour que la mayonnaise reprenne ? Cela fait quatre ans que le Maroc n'a plus de solidarité malgré la qualité indéniable de ses joueurs. Il faut de la psychologie, il faut arriver à ce que les joueurs locaux et professionnels vivent en harmonie, que de la solidarité se développe. A mon époque, on est tombé sur un Henri Michel qui avait su trouver les bons mots pour nous mettre tous dans la même dynamique. Ce manque de solidarité et de détermination pèse énormément. L'arrivée d'un grand nom comme Gerets à la tête de la sélection est-elle la bonne formule ? Il arrive dans des conditions qui lui permettent de reconstruire. Il peut sélectionner qui il veut, vu qu'il n'y pas eu de résultat depuis un moment. Il a tout pour lui : ce fut un grand joueur, il connaît par cœur le métier. Il peut apporter de la fraîcheur et une dignité à cette équipe du Maroc qui l'a perdue. Il peut se permettre des choses que Lemerre, lui, ne pouvait pas faire. Que pensez-vous de l'habituelle polémique qui dénonce le manque de joueurs locaux dans la liste des joueurs retenus pour les matchs des Lions de l'Atlas ? C'est une polémique stérile qui n'a pas lieu d'être. C'est le coach qui décide et ce sont les meilleurs qui jouent. Existe-t-il des joueurs de niveau international dans le championnat du Maroc ? La vraie question est plutôt celle-ci : les joueurs sont amateurs. Ils n'ont pas les mêmes possibilités de s'exprimer que les joueurs en Europe et de fournir les mêmes efforts. C'est au Maroc et à la fédération d'apporter des réponses à ce niveau-là. Il est regrettable que le championnat marocain ne soit pas professionnel. Lorsqu'un vrai travail en profondeur sera effectué et que le championnat se professionnalisera, vous verrez que l'équipe nationale deviendra très vite à la portée de ces joueurs. Mais aujourd'hui, mis à part aller piocher un ou deux joueurs qui sortent du lot au WAC ou au Raja, il n'y a pas de comparaison possible, la différence est trop importante en termes de rythme de jeu ou d'hygiène de vie. Ce Maroc-Algérie verra la participation de quasiment 90% de binationaux sur le terrain. Quel constat doit-on en tirer ? C'est une tendance plus forte chez les Maghrébins qu'en Afrique noire. Je suis content de voir que les joueurs originaires du Maghreb choisissent de représenter leur pays d'origine. Que pensez-vous de la posture de certains en France, qui ne comprennent pas qu'on puisse former des joueurs pour des sélections étrangères ? Sur tous les joueurs qui jouent en France, combien sont retenus ? Ce sont juste les meilleurs qui sont retenus. Ils ont pris Ben Arfa, Benzema ou Nasri. Des joueurs qui sortent du lot. Les joueurs moyens, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse ? Vous avez choisi le Maroc alors que la France souhaitait vous sélectionner. Comment avez-vous tranché ? J'ai eu effectivement le choix entre les deux sélections. Mais la France ne m'a sollicité que parce que le Maroc venait de le faire… On n'est pas venu me chercher parce que j'étais performant, mais tout simplement parce que le Maroc m'a voulu. Aujourd'hui, je sais que mon choix était le bon et je n'ai aucun regret. Mais la France aurait pu être un formidable choix de carrière, à votre époque… (Ferme…) Dans ma génération, combien y avait-il de joueurs d'origine maghrébine en équipe de France ? A un moment, quand on est originaire du Maghreb, même en étant français, on réalise qu'on a plus de difficultés que les autres. C'est certain, c'est ma carrière qui me l'a fait dire. Je savais qu'il fallait que je travaille deux fois plus que les autres pour être reconnu. Quand j'étais à Nancy, même ayant terminé meilleur buteur du club, il fallait que je sois au-dessus du lot pour pouvoir jouer. Le meilleur joueur du monde que fut Zidane a dû réaliser des miracles avant de s'imposer en équipe de France. Vous estimez qu'il y a quelque part un problème avec les Maghrébins… Je le confirme, c'est certain. Aujourd'hui dans le football, quand on est maghrébin – et la Fédération française peut dire ce qu'elle veut – il y a des choix à faire. On ne peut pas prendre tout le monde. Quand je vois le nombre de Maghrébins qui jouent au football, et le nombre de ceux qui jouent en première division, c'est très peu. Il y en a une vingtaine au maximum en D1. Pour ce genre de propos, on pourrait vous taxer de victimisation, en sachant par exemple qu'en équipe de France il y a un Benzema ou un Nasr... Je pense que chacun doit faire des efforts, mais je n'aime pas dire nous, car on est français, je n'aime pas «communautariser». Je ne veux pas être exclu, je suis sportif, j'ai appris des choses, c'est la France qui m'a tout donné, j'estime que je dois lui rendre. Je veux être considéré comme un citoyen français, et qu'on peut aussi apporter des choses à ce pays. Quant à Benzema, Nasri ou Ben Arfa, je pense que c'est juste pour vendre du rêve. Je suis content pour ces gamins, j'aimerais en voir un peu plus. On sent une forme de colère en vous. Pourquoi ne pas vous investir pour faire évoluer les choses et les mentalités ? Je ne me vois pas dans un club français car je sais que je n'aurai pas l'opportunité. Je suis peut-être un peu négatif, mais c'est ce que je ressens. Les gens sont sympas, ils viennent te saluer, te dire que tu as été un grand joueur, etc... Mais tu restes à ta place. Tu as un statut de «rebeu» et il faut le garder. Donc ce n'est pas moi qui vais avoir l'opportunité de travailler pour un club en France. J'aimerais bien que les mentalités changent. On est né en France, on est français avant tout, il faut nous considérer. Pensez-vous qu'il y a une forme de racisme ordinaire dans le football ? Je n'espère pas, je ne pense pas… Je ne veux pas polémiquer. C'est vexant et touchant de voir que certaines qualités ne soient pas représentées. Je sens qu'on passe après tout le monde. Quand on est né en France, quand on a cette chance-là, on se sent français, on a la rage, on veut se battre pour ce pays. Je sais de quoi je parle, j'ai fait le tour des terrains et il y a quelque chose qui ne colle pas avec les «rebeux». Nabil Djellit