Alain Antil, chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l'Institut d'études politiques de Lille, a animé hier une conférence au niveau du Centre de recherches stratégiques et sécuritaires (CRSS) de Ben Aknoun à Alger, sous le thème «Crime organisé dans la région du Sahel». En tant que spécialiste en géographie politique et du crime organisé, le conférencier souleva dans sa conférence un fait alarmant pour le continent africain, le fait que les pays de l'Afrique subsaharienne sont devenus un relais de prédilection pour le transit du trafic de cocaïne qui vient des pays de l'Amérique du sud, vers l'Europe. C'est ainsi qu'il soulignera le flux d'énormes quantités de cocaïne vers cette région depuis le début des années 2000 pour atteindre les quelque 40 tonnes saisies en 2005. Le chercheur expliquera que les trafiquants qui transportaient par le passé la cocaïne vers l'Amérique du Nord, se sont rabattus sur le marché européen pour écouler leurs marchandises depuis que les Etats-Unis ont durci la lutte contre le phénomène de la drogue. Ce qui obligea les dealers de Bolivie, de la Colombie et du Pérou à chercher un autre marché à conquérir. Ils le trouvèrent l'Europe via l'Afrique subsaharienne. C'est ainsi que les trafiquants procèdent par des moyens classiques, que sont les vols réguliers transatlantiques vers l'Afrique ou plus indiqués que sont le transvasement des petits bateaux, loin des yeux des garde-côtes africains ou via les réservoirs de petits avions. Le chercheur avancera par ailleurs des chiffres alarmants qui démontrent l'ampleur du fléau, puisque les trois pays d'Amérique du Sud sus-cités sont arrivés à produire, à eux seuls, pas moins de 800 tonnes de cocaïne ces dernières années. Actuellement, 80 tonnes de cocaïne traversent l'Afrique de l'ouest pour atteindre le vieux continent qui s'accapare un taux de 26% de la consommation mondiale. Un taux qui demeure supérieur à celui de l'Amérique du sud (20%), tandis qu'au nord du nouveau continent le taux de consommation reste le plus élevé avec 40%. A 2400 euros le kilo en Colombie, la cocaïne s'affiche à 20 000 euros en Afrique du nord Par ailleurs, le conférencier indiquera que la valeur de la cocaïne qui traverse l'Afrique annuellement est estimée à pas moins de 2 milliards de dollars, et le prix de la marchandise va crescendo durant tout l'acheminement puisque le kilo de cocaïne qui vaut 2 400 euros atteint 10 000 euros à son arrivée au Sénégal, avant de s'afficher en Afrique du nord pour une valeur de 20 000 euros et terminer sur un pic de 38 000 euros en Europe. Selon le chercheur, ce trafic est contrôlé par deux acteurs principaux : les «cartellitos» en Amérique du Sud et les maffias européennes que sont la Cosa-Nostra et la Vendetta, qui s'échangent le commerce de la cocaïne en amont et en aval de la chaîne. Cette chaîne est composée des groupes criminels ouest africains qui sévissent au Nigeria et au Ghana, la maffia d'Etats qui représente le trafic systémique, la diaspora syro-libanaise, relayée par l'Aqmi qui sécurise les convois dans la partie nord-ouest du Mali et les diasporas africaines présentes en Europe. Le tout sanctionné par des conséquences énormes : prolifération du trafic d'armes, blanchiment d'argent, criminalisation des sociétés et économies locales déstabilisées par l'afflux massif de masses monétaires, vu que la lutte contre ce fléau ne demeure pas une priorité pour les gouvernements des pays sahélo-africains, qui ont beaucoup d'autres problèmes majeurs à solutionner.