Le colloque international sur l'immigration transsaharienne au Maghreb, organisé à Marseille (France) par l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) de l'université de Provence, dont les travaux se sont clôturés hier, a révélé une grande peur des Etats du Maghreb de reconnaître leur nouveau statut de pays de destination des migrants africains. C'est le cas particulièrement du Maroc, de la Tunisie et de la Libye qui refusent, à ce jour, d'admettre la présence prolongée, sur leur territoire, de populations subsahariennes. Les autorités libyennes observent une attitude plus extrême, niant même avoir des immigrés. Alain Morice, chercheur au CNRS-URMIS (Paris), a expliqué hier dans une communication intitulée Vocabulaire et pratique du transit dans l'impasse, que cette crainte des pays maghrébins cache en réalité une autre peur : celle de se voir contraints de reconnaître des droits aux étrangers africains ou de faire face à une demande, comme cela a été le cas au Maroc après les événements de Ceuta et Melilla en 2005. Dans le compte rendu de sa recherche sur le phénomène du « passage au politique des transmigrants subsahariens de Rabat », Mehdi Allioua, chercheur au CERS (université de Toulouse Le Mirail), abonde dans le même sens et soutient même l'idée que ces Etats redoutent également que leurs sociétés respectives prennent en exemple les migrants pour revendiquer davantage de liberté. D'où, souligne-t-on, la propension des pays maghrébins à réprimer systématiquement et durement le phénomène de l'immigration clandestine. L'on pense, en outre, que le dossier de l'immigration clandestine pourrait susciter un nouvel intérêt pour la question des droits de l'homme au Maghreb. Les experts ayant pris part à ce colloque de trois jours, dont la responsabilité a été confiée au chercheur algérien Ali Bensaâd, préviennent que cette attitude qui consiste, pour ces Etats, à ne pas accepter cette nouvelle réalité qui fait d'eux des pays de destination après avoir été, pendant longtemps, des nations de transit n'est pas du tout celle qu'il faudrait avoir dans la mesure où ils auront, dans un avenir proche, à faire face à une plus grande présence de migrants subsahariens sur leur territoire. Une présence qui sera due en grande partie à cause de leur alignement sur la politique européenne d'immigration. Conçue pour rendre hermétiques les frontières sud de l'UE, celle-ci aura pour conséquence, ainsi que le rappelle Alain Morice, de provoquer une concentration des flux migratoires subsahariens au Maghreb. En plus de souligner le caractère disproportionné de la réponse de l'Europe au problème de l'immigration clandestine africaine (contrairement à l'exploitation médiatique et politique qui en est faite, le phénomène est à relativiser considérablement), la majorité des spécialistes des flux migratoires, dont Michel Agier et Alain Morice, avertit sur le fait notamment que depuis le 11 septembre 2001, « le chaos structuré et programmé des ensembles locaux ou régionaux risque de refaire, entre le Nord et le Sud, l'histoire du mur de Berlin et d'autoriser à tirer dans le dos d'un immigrant africain ».