La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) que préside Me Farouk Ksentini vient de finaliser le rapport annuel de 2011 sur l'état des droits de l'homme en Algérie. Selon Me Ksentini, le document sera présenté dans la semaine au président de la République. Dans cet entretien qu'il a bien voulu nous accorder, le président de la Commission nationale de protection des droits de l'homme revient sur les principaux points évoqués dans ce rapport. Le Temps d'Algérie : Pouvez-vous nous donner un aperçu sur le rapport 2011 des droits de l'homme en Algérie ? Me Farouk Ksentini : Le rapport est consacré principalement à l'étude des nouvelles lois initiées par le président de la République sur les partis politiques, sur la presse et la loi électorale. Ce sont une série de mesures qui font que l'Algérie est en voie de devenir un Etat démocratique dans toute l'acception du terme. Nous achevons la phase finale de la transition vers la démocratisation de notre pays. En plus des lois adoptées, les élections législatives qui auront lieu le 10 mai viennent consacrer cet édifice démocratique. Si les élections sont transparentes et sincères, l'Algérie va entrer pleinement dans la démocratie. Aussi, nous avons relevé que toutes les dispositions sévères ont été prises pour éviter la fraude physique. L'Assemblée qui sera dégagée à l'issue de ce vote sera réellement représentative. Il reste maintenant le taux de participation, que nous souhaitons le plus large possible. A l'occasion de ce rapport, nous avons demandé que des dispositions légales et réglementaires soient prises pour que le vote devienne obligatoire pour tous les électeurs, même si on vote blanc. Il faudrait que les votants soient obligés de déterminer leur propre destin et ne plus parler de mobilisation à chaque scrutin. Cela devrait être obligatoire comme l'est la scolarité dans notre Constitution. Dans des pays démocratiques, le vote n'est pas encore obligatoire… Il n'est pas obligatoire. Mais, personnellement, je souhaite qu'il soit rendu obligatoire en Algérie, sans entrer évidemment dans les choix du votant. Il faut absolument que les Algériens aillent aux urnes. C'est un devoir citoyen pour déterminer son choix politique par son propre bulletin. En ce qui concerne la fraude, nous avons fait quelques observations. Nous distinguons la fraude matérielle ou physique et immatérielle. Nous considérons par exemple la fraude morale lorsque des partis viennent promettre des choses irréalisables et non susceptibles d'être tenues, ainsi que les discours de démagogie. C'est une fraude qu'il faudrait combattre absolument. Les candidats devront présenter des programmes raisonnables et qui n'ont rien à voir avec le populisme, la religion, le corporatisme, le régionalisme et tout ce qui nous éloigne de la démocratie et du développement. Voilà dans l'ensemble ce que nous suggérons pour que l'Algérie devienne ce que nous souhaitons tous, un pays démocratique et un Etat de droit. Avez-vous relevé des insuffisances, notamment en ce qui concerne le manque de confiance des citoyens vis-à-vis de la justice ? Il est vrai que des efforts énormes ont été accomplis par le secteur de la justice, mais il faudrait maintenant parler d'une justice de qualité. Il y a deux ans de cela, à l'occasion de l'ouverture solennelle de l'année judiciaire, le ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, avait promis de garantir une justice de qualité. C'est un travail difficile, je le reconnais, mais la justice est du sur mesure. Ce n'est pas les chiffres et les rendements (le nombre d'affaires traitées) qui nous intéressent, mais la qualité de la justice. Que voulez-vous dire au juste par la qualité de la justice ? Concrètement, cela veut dire que l'affaire d'un citoyen soit bien jugée. Souvent, des décisions prises à l'encontre des citoyens ne sont pas justes et ne respectent pas la loi comme il se doit. Tout cela doit être revu et amélioré. Aujourd'hui, les magistrats ont les moyens intellectuels et les connaissances suffisantes pour pouvoir rendre des jugements de qualité. Quelles sont vos observations quant au problème de l'accès à l'école dans certaines régions éloignées du sud du pays. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur ce point ? Nous voudrions que l'école algérienne s'améliore en matière d'excellence. Il ne s'agit pas de faire de l'école un moyen d'alphabétisation. Il y a des efforts qui ont été faits, cependant il reste beaucoup à faire en la matière. Sur le plan des classements internationaux, l'Algérie est loin derrière. Sur le plan universitaire, nos universités sont prématurées. Il n'y a aucune raison pour justifier ce résultat médiocre. Il faut que nos universités soient les meilleures. Nous avons des femmes et des hommes capables de dispenser un enseignement de très haute qualité. Il faudrait leur assurer les moyens nécessaires. Les Algériens ne doivent pas être les derniers de la classe. Pour nous, c'est une aspiration tout à fait légitime. L'accès au logement et à la santé a été évoqué à maintes reprises, notamment par des organismes étrangers qui ont eu à décrire des conditions difficiles, voire opaques pour le logement. Quel a été l'avis de votre commission ? Il y a des efforts considérables qui ont été faits dans ces domaines. Mais des hôpitaux sont dans un état qui laisse à désirer. Certes, il y a des exceptions. Toutefois, des médecins et des malades disent que le secteur de la santé est dans un état déplorable. Cela étant, les uns et les autres reconnaissent qu'il y a eu des efforts. Quant au domaine de l'habitat, l'Etat continue à construire et à construire beaucoup. Et comme nous avons accusé un retard pendant des décennies, faute de moyens financiers, l'Algérie fait face à une demande très forte aujourd'hui. Même si les autorités construisent énormément, beaucoup de citoyens ne sont pas logés. L'Algérie doit donc redoubler d'efforts pour que la demande soit satisfaite. Quand est-ce que le rapport sera remis à la présidence de la République ? Il sera remis à la présidence la semaine prochaine. Peut-on savoir sur quelle base a été préparé le rapport ? Avez-vous accès à toutes les données ? La commission est représentée par les différents ministères et autres structures publiques. Nous recevons aussi des doléances et des réflexions. Ce n'est pas du travail improvisé. Il est réfléchi et il nous a fait réellement transpirer pendant des mois. Ce n'est pas facile de cerner tous les problèmes et de les examiner avec un maximum d'objectivité. Cependant, notre mission ne consiste pas à polémiquer sur la situation des droits de l'homme. Notre démarche est saine et constructive. Elle vise à relever les points positifs et négatifs en vue d'apporter les corrections nécessaires.