Le gouvernement marocain continuait hier d´observer un étrange silence sur la controversée décision prise vendredi dernier par le Conseil des ministres présidé par Mariano Rajoy de concéder la haute distinction au régiment espagnol qui a fait la guerre coloniale du Rif. Cet ordre a été décerné au régiment de cavalerie «Cazadores de Alcantara», l´armée espagnole basée à Melilla, pour «son comportement héroïque» durant la guerre du Rif de juin 1921. Pour d´évidentes raisons diplomatiques, et ses intérêts économiques aussi, le gouvernement de Abdallah Benkirane, sur instruction du Roi Mohammed VI, ne semble pas vouloir engager de polémique avec son voisin. Rabat a donc préféré garder le profil bas et laisser s´exprimer, en son nom, une organisation civile proche du Palais royal, composée d´intellectuels marocains qui militent pour le rapprochement avec l´Espagne. C´est donc cette ONG, le Centre pour la mémoire commune et le futur (CMCP), qui fera paraître un timide communiqué dans lequel elle qualifie de «provocation envers le Maroc et les Marocains» la glorification du régiment colonial par le gouvernement Rajoy. Le CMCP se limite à déplorer la «politisation de l´histoire à des fins politiciennes». Pas le moindre hommage à l´héroïque combat livré par le Berbère Abdelkrim El Khattabi mettant en déroute l´armée coloniale espagnole qui occupait le Nord du Maroc. Un communiqué en termes trop mesurés au regard de l´injure faite par le gouvernement espagnol à la mémoire des combattants rifains. Cette partie de l´histoire la plus glorieuse du Maroc dérange-t-elle à ce point le Palais royal marocain ? Un affront similaire commis en France par le vote au Palais de Bourbon de la loi sur la «mission civilisatrice» du colonialisme, a perturbé les relations d´Etat avec bon nombre de gouvernements africains, dont celui de l´Algérie. Le combat livré par Abdelkrim El Khattabi contre l´armée espagnole commandée par le général Manuel Fernandez Silvestre est une page des plus glorieuses de la lutte anticoloniale. Entre juin et août 1921, cette armée avait été mise en déroute par les tribus berbères du Nord du Maroc. Cette armée avait perdu au cours de ce désastre plus de 30 000 hommes, alors que la plupart de ses officiers avaient déserté le champ de bataille abandonnant sur place leurs soldats. Le général Silvestre lui-même se serait suicidé durant cette guerre coloniale qui a tourné au cauchemar et que l´Espagne avait toujours refusé, jusque-là, de se le rappeler. Ce désastre avait provoqué une crise politique en Espagne. La monarchie avait été ébranlée sous Alfonso XIII. Le coup d´Etat de 1921 ouvrira la voie à la mise en place de la dictature de Miguel Primo de Rivera en 1923. Cette instabilité politique conduira droit vers la guerre civile de 1936, la chute de la IIe République et l´avènement de la dictature du général Franco jusqu´en 1975. Plus de 90 ans plus tard, Mariano Rajoy a voulu réhabiliter le «combat héroïque» de l´armée coloniale, un peu comme la France a tenté de réhabiliter le génocide colonial en Algérie.