Le secteur de la santé algérien n'est pas à la hauteur des enjeux qui lui sont assignés. Il est caractérisé, de l'avis des spécialistes, des observateurs et des malades, par des carences à même de lui porter préjudice et remettre en cause la gratuité des soins. En cette saison estivale, de nombreuses personnes sont évacuées ou viennent seules pour une fracture, une intoxication alimentaire ou pour recevoir les premiers secours suite à un quelconque problème de santé urgent aux urgences médicales. Ces services sont aussi pris d'assaut par des patients aux moyens financiers limités, ce qui fait que les urgences médicales sont souvent sollicitées et le personnel médical débordé. Cette situation est presque identique dans les hôpitaux que nous avons visités, en l'occurrence Tidjani-Heddam de Tipaza, Mustapha Pacha et Mohamed Lamine-Debaghine d'Alger. Ce qui frappe de prime abord, c'est l'hygiène qui, tout en étant acceptable, laisse tout de même à désirer. Ainsi, à l'hôpital Tidjani-Heddam, le sol et les murs de la salle d'attente ont besoin d'un coup de balai et de rouleau de peinture. Quant aux urgences de l'hôpital Mustapha-Pacha, elles sont réparties sur plusieurs bâtiments en fonction des pathologies. La salle médicochirurgicale n'est pas équipée d'assez de bancs, une lacune de taille pour un hôpital du centre-ville de la capitale et le plus réputé du pays. Sur les lieux plus ou moins propres, il faisait très chaud dans la salle. Heureusement, la porte d'entrée sert de bouffée d'air frais aux malades. L'hôpital Mohamed-Lamine Debaghine de Bab El Oued est d'une capacité d'accueil importante. En effet, à l'entrée des urgences ainsi qu'au dehors, de nombreuses personnes attendaient sur des bancs. Les lieux semblent plus ou moins propres. Un patient nous affirmera que c'est parce que «le ministre de la Santé a visité l'hôpital il y a peu de temps», et c'est à cette occasion que les murs ont été rafraîchis. Cependant, la propreté s'arrête à l'entrée des urgences car au-delà, dans les cabinets de consultation, les murs sont sales, des traces de moisissure sont visibles sous les lavabos. De plus, il y faisait une chaleur étouffante. L'attente semblait interminable pour les patients. Attente et désorganisation A l'hôpital de Tipaza, l'attente peut durer trois quarts d'heure ou même plus en fonction de la file d'attente devant la salle de consultations. L'ordre de passage est rarement respecté par les malades. Parfois, certains malins ne se gênent pas pour devancer les autres. Aussi, les patients ne sont pas répertoriés alors que cette démarche aurait facilité le travail des médecins qui cibleraient plus facilement les cas nécessitants une intervention rapide. Ainsi, les gens qui se sentent vraiment mal s'avancent devant la porte du cabinet de consultation avec un air de souffrance qui incite la majorité des personnes à leur céder la place, bien que certains n'apprécient guère de devoir attendre encore plus, mais prendre son mal en patience est devenue inhérent au citoyen. Aux urgences médicales de l'hôpital Mustapha, dans la salle d'attente plus ou moins bondée, les malades pestaient en attendant leur tour. Un jeune homme qui s'est fracturé la cheville souffrait en attendant que l'on s'occupe de lui. Il finira par aller à cloche-pied jusqu'à la salle de radiologie, sans l'aide de personne. Même constat qu'à l'hôpital de Tipaza. Il n'y a pas d'ordre de passage et il faut s'armer de patience. Les plus «corrects» se sont fait griller la politesse à plusieurs reprises, alors que les insouciants n'attendent même pas la sortie du précédent patient pour entrer dans la salle de consultation. Par contre, à l'hôpital Debaghine, l'accueil est plus cordial et les patients se voient remettre une fiche de renseignements portant un numéro qui n'est nullement celui de l'ordre du passage, et comme ailleurs, la désorganisation règne. Longues attentes pour tous, notamment pour ceux qui arrivent à l'heure de la relève des équipes médicales. Les malades, contraints d'attendre faute de moyens pour une consultation en cabinet privé, prennent leur mal en patience. «Je suis là depuis plus de deux heures et je pense que je dois encore attendre puisque la relève n'est pas encore arrivée. Je suis venu ici parce que je n'ai pas les moyens d'aller chez un généraliste, mais je suis conscient que les urgences sont débordées, alors j'attends mon tour», nous a dit une personne âgée, venue pour un arrêt de travail. Devant cette anarchie remarquée au niveau de ces hôpitaux, des citoyens n'arrivent plus à se retenir et explosent pour dénoncer cette situation. Un homme âgé rencontré à l'hôpital s'est énervé et a lancé à qui veut l'entendre : «C'est vraiment l'anarchie. Le personnel médical est dépassé, je suis âgé, je dois être pris en charge rapidement. Je ne peux pas patienter». Dans cette ambiance, les rusés font intervenir leurs connaissances pour régler leurs problèmes plus rapidement. «Je sais qu'ici ça marche par piston. Celui qui a un parent, un ami ou une connaissance en poste dans un hôpital peut accéder facilement aux soins et autres services sans tracas», nous a indiqué un jeune à la recherche d'un certificat médical de bonne santé. La situation ne peut être meilleure puisque sur les trois cabinets de consultation de cet hôpital, un seul était en service. Un patient debout dans un box vide nous a affirmé qu'il était là depuis 2 heures et qu'il n'en pouvait plus : «C'est toujours la même chose. On attend, on attend pour rien. Pauvre Algérie, j'ai mal à mon pays», a-t-il dit avec un long soupir. Un jeune qui attendait aussi nous a indiqué que «l'Algérie, c'est comme ça, nous ne pouvons que nous résigner. Nous n'avons rien à attendre de nos dirigeants, les hôpitaux sont à leur image, ils ne sont pas à la hauteur, pas étonnant que la majorité des gens veuillent s'exiler». Certainement contrariée par de tels propos, une assistante sociale nous confiera que «cette situation n'est pas propre à l'Algérie. Dans de nombreux pays, les urgences sont souvent engorgées et de piètre qualité». En face du cabinet de consultation, la salle de dialyse dont la porte était grandement ouverte ne laissait aucune intimité aux malades auxquels on prodiguait des soins. Une consultation sans auscultation A l'hôpital de Tipaza, la salle de consultation est sommaire. Ce n'est certainement les moyens qui manquent, même si le citoyen profite de la gratuité des soins. Si les pouvoirs publics ont mis le paquet pour assurer des soins gratuits, les responsables directement concernés doivent être plus rigoureux pour accomplir cette noble mission, notamment pour les nécessiteux et ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un médecin privé. Chez ces derniers, la consultation varie entre 800 à 1500 dinars, ce qui rebutent de nombreux malades qui préfèrent se rendre dans les hôpitaux ou les urgences. A l'hôpital Mutapha au niveau de ses urgences, c'est parfois la grande surprise. Les médicaments sont prescrits sans la moindre auscultation. Les médecins se contentent d'un simple interrogatoire pour vous griffonner une ordonnance. Une jeune fille qui souffrait d'une intoxication alimentaire et qui a précisé au médecin qu'elle avait eu recours à l'automédication, nous a fait savoir qu'elle n'a pas été auscultée et qu'on lui a délivré une ordonnance de quatre médicaments. «Une attente de trois quarts d'heure pour une consultation de cinq minutes. C'est rapide», nous a-t-elle dit en ironisant : «Heureusement que j'ai eu droit à quelques conseils alimentaires». Au Centre hospitalo-universitaire de Bab El Oued, la situation des urgences est presque la même, sauf qu'il y a plus de monde. Les praticiens se disent dépassés et ne peuvent prendre correctement en charge tous les malades. Dans les couloirs, des patients apostrophaient des membres du personnel médical dans l'espoir de se voir pris en charge. Mais les praticiens étaient tellement occupés qu'ils ne prêtaient pas attention à toutes les sollicitudes. Ici aussi, la consultation était expéditive, trois minutes à peine et le malade est renvoyé avec une ordonnance. «C'est vraiment bizarre qu'un médecin vous prescrive des médicaments sans auscultation», s'est étonné un malade souffrant d'une angine. Une pratique qui n'est heureusement pas généralisée dans un secteur de la santé qui, en dépit de certains avantages qu'il offre, continue de souffrir de sa mauvaise gestion. Une défaillance visible au niveau des urgences qui est devenu un service à tout faire et où tout est à réorganiser