Elle est ainsi, Zineb, elle fonctionne au subjectif. On a beau lui dire que dans la vie, il faut tout de même un peu d'objectivité, rien n'y fait. Elle ne sait pas si c'est vraiment le cas, mais elle répète toujours que son «flair» l'a rarement trompée. Elle lui voue alors une confiance aveugle. Des gens qui ne lui ont rien fait, dont elle ne sait pas grand-chose mais qu'elle ne peut pas voir en peinture, il y en a à la pelle. Il y en a même qu'elle ne connaît même pas du tout. Zineb voit un visage, en vrai, en photo ou à la télé, et sa religion est faite sur celui qui le porte. Tenez, Zineb n'aime pas Belkhadem par exemple. Juste pour rigoler, elle dit parfois : «Je ne l'aime pas, comme tout le monde» ! Mais elle sait que c'est exagéré. D'abord parce que ce n'est pas vrai que tout le monde déteste le chef du FLN, ensuite parce que Zineb à horreur d'être comme tout le monde. Alors, elle dit pourquoi c'est différent pour elle. Ce n'est pas bien difficile, puisque tous ceux autour d'elle qui partagent la même désaffection pour Belkhadem ont une explication et ils essaient de la formuler avec plus ou moins de «rationalité». Pas Zineb. Elle déteste ce bonhomme, point barre, comme disent les jeunes branchés. Il y en a qui ne peuvent pas le blairer en raison de sa barbe d'une autre planète, d'autres ont peur de son teint à la couleur inclassable. Il y en a qui ont une sainte horreur de sa tenue soudanaise du vendredi, ceux qui ne comprennent pas un traître mot de son arabe «nucléaire», ceux qui ne lui ont jamais pardonné Sant'Egidio, ceux qui n'ont pas oublié «l'ambassade d'Iran», ceux qui voient en lui la réincarnation des années de plomb, ceux qui ne supportent pas la langue de bois, ceux qui le préfèrent comme gardien une fois le FLN au musée, ceux qui n'ont pas digéré qu'il ait été Chef du gouvernement et ceux qui angoissent à l'idée qu'il devienne un jour président. Tout ce beau monde n'aime pas Abdelaziz Belkhadem mais ce n'est pas de la même manière que Zineb. Eux ont une explication. Zineb a entendu parler de la démission de Saïd Sadi. Elle n'aime pas trop sa tête de premier de la classe mais ses lunettes et son verbe incisif la rassurent quelque part. Quand il est parti, elle a eu un petit pincement au cœur mais elle a rapidement surmonté ça quand quelqu'un lui a expliqué qu'il est toujours là. Zineb ne s'intéresse pas vraiment pas à la politique mais elle est informée des grands événements, surtout qu'il n'y en a pas beaucoup, ce qui lui demande moins d'efforts, étant un tantinet paresseuse de naissance. Alors quand à la suite de Saïd Sadi, Hocine Aït Ahmed a envoyé une lettre pour dire qu'il ne sera plus le chef de son parti, Zineb a failli verser une larme. Elle ne sait pas pourquoi mais elle a versé une larme et personne ne lui a demandé pourquoi, parce que ceux qui sont autour d'elle connaissent sa subjectivité, elle ne donne pas d'explication. Puis vint le tour d'Ahmed Ouyahia. On lui a bien dit qu'il fréquente Belkhadem, mais elle s'en fout un peu. Il a comme Sadi une tronche de premier de la classe mais il ne l'effraie pas. En plus, elle a lu sa lettre et elle a cru comprendre que sa démission pourrait ne pas en être une. Et puis, elle a aussi entendu qu'on pourrait être amené à choisir entre lui et Belkhadem, dans une autre vie. Du coup, elle s'est rappelé que Belkhadem n'est pas encore parti et elle a vraiment pris peur. Jusqu'à ce qu'à ce que son flair, qui l'a rarement trompée, ne vienne à son secours. Et son flair lui a dit qu'il faut parfois partir pour mieux revenir.