Mouloud est chômeur mais il a la chance de ne pas habiter Ouargla. C'est une piètre consolation, mais un chômeur doit savoir tirer bonheur de tout, c'est-à-dire de rien. C'est normal que Mouloud n'habite pas Ouargla, puisqu'il n'habite pas. Il dort chez son père qui dort chez son grand-père. Il n'y a plus de chômeurs à Ouargla, ils sont en prison, ils ont la tête dans le sable ou pire, ils sont venus dans le Nord chercher le boulot laissé vacant par les nordistes partis prendre le travail des sudistes. C'est un peu compliqué mais c'est l'objectif de l'exercice. Mouloud n'a rien pris aux jeunes du Sud, puisqu'il est resté au nord où il n'a rien pris non plus. Il veut bien sa part de pétrole, pas parce que c'est à la mode mais parce qu'il faut bien bouffer. Mouloud ne crève pas vraiment la dalle mais il est chômeur tout de même, même si «son» baril, il aimerait l'avoir ailleurs qu'au milieu d'une immensité rocailleuse ou assis sur une dune de sable brûlant. C'est pourquoi, il ne comprend pas que parmi les chômeurs de Ouargla, il y en a qui disent, avant d'être poussés dans le panier à salade de la police ou accompagnés au car grandes distances, que les «gens du Nord» viennent squatter leurs postes de travail alors que le pétrole et le gaz ont poussé sur leur territoire. Il n'a rien squatté du tout. C'est d'ailleurs pour cela qu'il brûle d'envie de rencontrer un «collègue» du Sud pour lui expliquer la chose, histoire de soulager sa conscience. Il lui dira, par exemple, que pour ce qui est du pétrole, on en parle beaucoup ces jours-ci au nord comme au sud. Au nord de… l'Amérique, par exemple, où il est question de… Sonatrach et SNC Lavalin. Il paraît qu'une télévision canadienne a visité pour ses téléspectateurs les villas et les appartements des frères Bédjaoui, de jeunes acnéiques d'Afrique du Nord. On ne sait pas vraiment s'ils bossent mais on sait qu'ils n'ont aucune idée de ce qu'est un panier à salade de la police. La plus modeste de leurs demeures coûte juste un peu moins de deux millions de dollars. Le grand frère, lui, vit au sud de… Dubaï; mais c'est dans un palace parisien qu'on l'a le plus vu. Lui, il n'a jamais demandé «son» baril, gentleman bon chic bon genre, il ne prend pas de… liquide mais des virements bancaires. Avec ENI, il s'est contenté de 197 millions de dollars et il ne prend pas tout pour lui. Bien éduqué, il ressert à ses tontons qui lui vouent toute leur affection une grande partie du petit sandwich. On ne connaît pas encore les chiffres de SNC Lavalin mais on sait que le petit et ses tontons ne sont pas gourmands. Il est très différent des cupides chômeurs de Ouargla qui veulent toute la nappe pétrolière du Sud sous prétexte qu'ils sont nés et vivent dans sa périphérie. Encore moins cupides que Mouloud, qui ne veut pas se déplacer à Hassi Messaoud pour prendre son baril. Quant à se présenter dans un palace parisien, il n'a pas de visa et il ne sait pas se tenir dans un endroit chic, d'où un risque certain de ternir dangereusement l'image du pays. L'image du pays, Mouloud et ses «collègues» de Ouargla la connaissent un peu mais c'est au sud de l'Europe qu'ils la découvrent grâce à des juges milanais qui ont eu l'idée saugrenue de s'intéresser plus aux pots-de-vin qu'aux chômeurs. Quand Mouloud a rencontré à Alger un chômeur du sud de l'Algérie qui a échappé au panier à salade et quitté le désert après avoir retiré sa tête du sable, ils en ont parlé sereinement. Au bout de quatre paquets de Rym et dix-huit cafés, ils ont décidé de faire un projet Ansej pour l'exploitation d'un puits. Mais on leur a dit que c'était le 24 février. Sonatrach ne veut pas entendre parler «d'investissement privé» en ce jour solennel pendant que le gouvernement et l'UGTA chantaient Qassaman à Tiguentourine. La souveraineté nationale, pas touche !