Inoubliable buteur d'Omdurman, Antar Yahia restera à jamais dans les mémoires du football algérien. Un an après avoir pris sa retraite internationale, le défenseur central, resté un observateur avisé de l'EN, a bien voulu revenir sur les raisons de son départ. Avec franchise, et un brin de diplomatie, il s'exprime sans détour sur ces différents sujets. Eliminée au premier tour de la CAN, l'Algérie a déçu. Qu'avez-vous pensé de la prestation de la sélection emmenée par Vahid Halilohdzic ? C'est une nouvelle génération. Lors de cette compétition, ils ont vu les difficultés de l'Afrique. Ce n'est pas à moi de leur donner des leçons, et ils le savent, il leur faudra muscler leur jeu. Estimez-vous que l'Algérie a manqué de caractère ? L'Afrique, ça passe par un jeu plus musclé dans l'engagement. Ils sont talentueux et tendres. Ce n'est pas un reproche, ils vont connaître l'Afrique et se faire leur propre expérience. A l'image de Ghoulam, Taïder, Brahimi ou Feghouli, l'Algérie est une équipe jeune et talentueuse. Cela est-il suffisant pour réussir en Afrique ? Le talent ne suffit pas. Il y a d'autres paramètres qui entrent en ligne de compte en Afrique. On l'a vu aussi avec d'autres équipes comme la Côte d'Ivoire. Enormément de talents, et de l'expérience, et ils n'ont pas gagné un titre. Je pense que l'unité d'un groupe, le côté humain compte énormément et encore plus qu'en Europe. En sélection, il y a un dénominateur commun : «Quel est ton objectif quand tu viens en sélection ? Est-ce que tu as ce truc bien précis en toi.» Quand tous ces éléments sont réunis, il est possible de soulever des montagnes. Le 1er mai 2012, vous avez décidé de prendre votre retraite internationale. Regrettez-vous ce choix ? Non, je ne le regrette pas. Il faut choisir son moment. Et c'est mieux de le choisir soi-même. J'aime bien prendre mes décisions. Je vis avec mes principes, et avoir la tête haute est essentiel. Avec l'arrivée d'un nouveau sélectionneur, et un air de changement de cycle, avez-vous eu l'impression d'avoir été poussé vers la sortie ? Non, pas du tout. J'ai voulu passer du temps avec Vahid Halilhodzic pour me faire mon idée, et me déterminer sur mon choix. J'ai passé huit mois avec ce sélectionneur. Et, je le répète, mon arrêt n'avait rien avoir avec sa venue. La mise à l'écart de Karim Ziani, ou le retrait des historiques comme Nadir Belhadj ou Karim Matmour, avec qui vous avez partagé des choses fortes, a-t-il compté dans votre choix ? Je suis le premier à être parti. Ensuite, il y a eu Nadir Belhadj, Karim Matmour. Je vous rappelle que Karim Ziani n'était plus sélectionné depuis un moment. Donc, ce n'est pas cela qui m'a fait partir. Compétitif face à la Tunisie et la Gambie, vous portiez le brassard de capitaine, et votre aura auprès de vos coéquipiers ne semblait pas remise en cause, alors pourquoi ? En tant que capitaine et cadre dans une équipe, je suis habitué à beaucoup de communication, et dans les deux sens. Sans y voir une critique, et je ne veux absolument pas que cela soit mal interprété au moment où cette jeune sélection a besoin de sérénité, il y a certaines choses qui m'ont usé. J'ai donc préféré choisir mon départ. J'ai vu aussi qu'il y avait eu d'autres joueurs qui ont eu des départs difficiles. (Rafik Saïfi et Yazid Mansouri ont eu un départ pas à la hauteur d'un long investissement en sélection algérienne, ndlr). A 30 ans, vous sembliez pourtant encore largement dans le coup… Qu'est-ce qui vous a usé ? Les premiers qui m'ont fait la gueule, ce sont mes parents. Mon père m'a fait la tête. Je suis venu jeune en équipe nationale, j'ai connu pas mal d'aventures humaines, des changements de groupe, et des changements de groupe… Au fur et à mesure, il est difficile de récréer quelque chose… Fort de 53 sélections et de 6 buts avec l'Algérie depuis 2004, l'idée d'une remise en cause de votre statut a-t-elle influencé cette décision ? Si on avait considéré que je n'étais plus compétitif, je l'aurais accepté car la concurrence fait partie de notre métier, et sans chauvinisme, je n'ai jamais posé de conditions pour évoluer avec mon pays. Je voulais choisir ma sortie. Je me sentais plus à l'aise. C'est tout. Quand on est un cadre de l'équipe, vous avez un poids que vous souhaitez garder. Et puis, Vahid Halilhodzic est arrivé avec ses idées... Zidane, Thuram ou Makelele sont revenus en août 2005 pour aider la France à se qualifier au Mondial. Et si on vous demandait de revenir pour apportez votre expérience… Je ne suis pas parti pour qu'on me redemande de revenir. Je ne reviendrai pas. La page est tournée. Et pour participer à un Mondial, en cas de qualification ? Encore moins, car si tu ne participes aux éliminatoires, ce n'est pas pour aller manger le gâteau… Pourtant c'est déjà arrivé en Algérie… (En 2010, 7 joueurs du groupe des 23 présents au Mondial n'ont pas participé aux éliminatoires, ndlr) C'est leur problème. Chacun avec sa conscience. Mais moi, je ne le ferai pas. Si on vous dit que l'Algérie de Saâdane était solide défensivement, et que celle d'Halilhodzic est intéressante sur le plan offensif, que pensez-vous de ce constat ? A l'époque de Saâdane, tout le monde présentait notre équipe comme une équipe très défensive, comme si on évoluait en 5-4-1 ou 5-3-2. A part à la Coupe du Monde où nous avons joué avec un seul attaquant, nous avons toujours joué en 3-5-2 avec deux attaquants et un numéro 10. Ce qui faisait cette solidité, c'était notre état d'esprit. Tout le monde défendait. Car si nous ne faisions pas cela, nous étions morts. Vous subissiez pourtant le jeu, marquiez très peu, et souvent sur coup de pied arrêté… Un entraîneur compose son système de jeu en fonction des joueurs qu'il a dans son effectif. A ce que je sache, de tout temps, l'Algérie a joué en contre. Seule la génération de 1980 a dominé son adversaire. Avec Saâdane, nous avions un groupe solide, et c'est ce qui faisait notre force. Et croyez-moi, le pire aurait été de faire des choses que nous ne savions pas faire. Avec du recul, pouvons-nous dire que Saâdane a tiré la quintessence de son effectif ? Il a tiré le meilleur de ce qu'il avait. Nous ne pouvions pas jouer autrement. En défense, avec Bougherra, Halliche et moi, nous étions très bons et complémentaires. Et l'une de nos grandes forces, c'était nos joueurs de couloirs (Nadir Belhadj et Karim Matmour). Aujourd'hui qui critique l'Inter, Naples, la Juve ou même le Barca quand ils jouent à 3 derrière ? En 2013, beaucoup d'équipes jouent comme cela. En Afrique, c'était un système qui nous convenait bien. Et qu'on le veuille ou non la base des résultats repose sur la solidité défensive.