Habitués au «daily press briefing» – le point de presse quotidien – et son lot de questions imprévisibles, les communicants du département d'Etat américain ne s'y attendaient guère. Comme il s'y emploie tous les jours, Robert Wood, l'un des porte-parole du ministère dirigé par Hillary Clinton, avait anticipé sur tous les sujets susceptibles de susciter les questions des journalistes accrédités. Fort de sa maîtrise de l'exercice, il avait préparé les éléments de langage sur les sujets chauds de l'actualité : conflit israélo-palestinien, nucléaire iranien, relations avec la Russie. Mais il était loin de s'imaginer être interpellé sur un «fait divers» aux allures sécuritaires et diplomatiques. Contre toute attente, une journaliste présente a changé complètement de registre. Objet de sa curiosité professionnelle : en savoir un peu plus sur une enquête en cours au niveau du département de la Justice visant un agent de la CIA. Depuis octobre, Andrew Warren – c'est de lui qu'il s'agit – est au centre d'une investigation sécuritaire et judiciaire très poussée de la part des services fédéraux. Chef d'antenne de la CIA auprès de l'ambassade des Etats-Unis à Alger, il est accusé d'avoir eu des relations sexuelles avec deux Algériennes «à leur insu». Autrement dit, de les avoir violées. Juste avant de rallier la «press room» du département d'Etat, Elise, la journaliste auteur de la question, avait pris connaissance d'une information «exclusive» d'ABC, une network à grande audience. Connue pour ses informations régulières sur le renseignement US, la chaîne news avait rapporté cette information quelques heures plus tôt. Citant des sources judiciaires, ABC fait état du rappel, en octobre dernier, du chef d'antenne de la centrale américaine à Alger. A en croire les médias américains, son retour à Washington aurait été ordonné par l'ambassadeur, David D. Pearce, en personne. Aucune condamnation officielle n'a, pour l'heure, été prise contre l'agent Andrew Warren, un homme de 41 ans reconverti à l'Islam. Son dossier a été soumis pour enquête à des juges fédéraux siégeant à la cour de Washington. A s'en tenir à l'«affidavit» – une déclaration établie sous serment par un enquêteur –, le dossier paraît lourd. Long de huit pages et près de cinq mille mots, ce document dresse un rapport circonstancié des «ébats» de l'agent Andrew Warren. Son auteur, Scott Banker, un agent spécial travaillant pour le Diplomatic security service du département d'Etat, dresse une sorte de PV à charge contre le premier responsable de la CIA à Alger. C'est lui qui, aux côtés d'autres agents spéciaux, a conduit les premières investigations. L'équipe a été dépêchée au siège de l'ambassade à Alger, mais aussi en Espagne et en Allemagne, lieu de résidence des deux Algériennes. A l'origine de cette procédure – menée de façon tatillonne –, les plaintes déposées par les deux femmes, dont les noms n'ont pas été rendus publics. L'une et l'autre affirment avoir été «violées» après avoir bu une boisson alcoolisée. La première – détentrice également d'un passeport allemand – l'a été aux environs de septembre 2007 et la seconde vers février 2008. L'«affidavit» ressemble à une sorte de «minutes» détaillées des faits. Par endroits, la déclaration sous serment de l'agent spécial Scott Banker tourne au récit pornographique. Les faits se sont déroulés dans une villa située au 5 chemin d'Hydra, à Poirson (El Biar). Louée depuis 2005 par l'ambassade des Etats-Unis, elle sert de lieu de résidence pour des membres du personnel diplomatique affecté à Alger. Selon «affidavit», elle bénéficie du statut de l'extraterritorialité. Selon des sources judiciaires citées par les agences de presse, une fouille effectuée à la résidence de Warren a permis de mettre la main sur du Xanax et du Valium, deux médicaments qui, de l'avis d'un expert en toxicologie consulté par les enquêteurs, sont «couramment utilisés pour faciliter des agressions sexuelles», peut-on lire dans cet «affidavit». Un manuel sur les enquêtes en matière d'agressions sexuelles a aussi été saisi. Pris de court, le département d'Etat s'est contenté d'une réaction au ton général. Par la voix de Robert Wood, les Etats-Unis «considèrent sérieusement les accusations de mauvaise conduite impliquant du personnel américain à l'étranger». Un porte-parole de la CIA a aussi déclaré que les accusations étaient prises au sérieux.