Les opportunités d'emploi étrangers sont-elles appelées à s'élargir au profit des étrangers non communautaires ? Depuis quelques semaines, la question est sur les lèvres d'une catégorie d'étrangers, nourrie par un projet législatif de très grande portée. Au plus fort d'une récession qui assombrit les perspectives économiques et plombe le marché de l'emploi, une proposition de loi chemine dans les bureaux du Sénat français. Initiéé par la sénatrice (socialiste) d'origine algérienne, Bariza Khiari, cette idée propose, rien de moins, la suppression des conditions de nationalité opposables à l'exercice de certaines professions libérales ou privées.Coïncidence du calendrier, la proposition de loi atterrit sur le bureau du Sénat au moment où une autre figure d'origine algérienne, Yazid Sabeg, fait son baptême du feu dans le costume de commissaire à la Diversité. Sitôt enregistrée, la demande de la sénatrice a bénéficie de la désignation d'un rapporteur et envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement. Connue pour ses engagements répétés sur le terrain de la diversité et de la lutte contre les discriminations, la sénatrice de Paris «récidive». Cette fois, Bariza Khiari s'attaque à un verrou législatif qui ferme nombre de métiers ou en limite l'accès à tout un pan de la population établie en France.Dans son exposé des motifs, elle énumère toute une palette de professions dont l'exercice est soumis à la condition de nationalité : médecin, sage-femme, pharmacien, chirurgien-dentiste, avocat, vétérinaire, architecte, géomètre-expert, expert-comptable, guide-interprète national, conférencier national, guide-interprète régional. Les conditions de nationalité et autres dispositions restrictives sont consignées dans plusieurs textes législatifs.Entre autres, le code de santé publique, le code rural (pour la profession de vétérinaire), la loi portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le loi sur l'architecture, le loi relative à la profession de géomètre-expert, etc.Pour la sénatrice d'origine algérienne, dont l'initiative est portée par plusieurs de ses collègues, sa démarche part d'une exigence républicaine.«Le pacte républicain impose une lutte constante contre les discriminations et la promotion de l'égalité des travailleurs.» Or, déplore-t-elle à l'appui de sa demande, «maints obstacles juridiques obèrent les appels à une véritable visibilité de la diversité dans certains secteurs».Elle en veut pour illustration les nombreux textes réglementaires qui continuent d'interdire ou, à tout le moins, de restreindre strictement l'accès aux étrangers à l'exercice de certaines professions.«Historiquement datées et obsolètes», ces réglementations «se superposent, rendant bien souvent illisible et incompréhensible le droit» aux yeux du «citoyen non-juriste». Soucieuse d'argumenter sa demande par des exemples concrets, Bariza Khiari s'appuie sur les conclusions d'un rapport commandé par le gouvernement au cabinet Bernard Brunhes Consultants en 1999. Remis au ministre de l'Emploi et de la Solidarité à l'époque du gouvernement socialiste de Lionel Jospin, l'audit dresse un inventaire précis des emplois fermés aux étrangers et l'effet qui en résulte sur le marché du travail. 7 millions d'emplois interdits partiellement ou totalement aux étrangers Citant ce rapport, la sénatrice évoque quelque sept millions d'emplois qui seraient «interdits partiellement ou totalement aux étrangers», soit 30% de l'ensemble des emplois.«Ceux-ci se dénombrent avant tout dans le secteur public, du fait des obstacles statutaires de la Fonction publique, souvent, mais pas toujours, liés à des considérations de souveraineté. Mais ils se rencontrent aussi, plus souvent qu'on ne l'imagine, dans un grand nombre de professions du secteur privé». Outre la condition de nationalité, l'étude du cabinet Bernard Brunhes Consultants pointe une autre restriction, la condition de détention d'un diplôme français.L'accès a une cinquantaine de professions fait l'objet de restrictions explicites liées à la nationalité. Il s'agit «principalement» des professions libérales organisées par les conseils de l'ordre : avocats, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, architectes, géomètres experts, experts-comptables, etc. Une trentaine de professions oppose aux candidats désireux d'y exercer la condition d'un diplôme français, ou, pour les étrangers communautaires, d'un diplôme admis en équivalence.De telles restrictions ne sont pas bien perçues par Bariza Khiari et la trentaine de sénateurs qui soutiennent son initiative. La sénatrice d'origine algérienne s'en explique. «S'il paraît légitime de réserver aux nationaux l'exercice de missions de souveraineté et de puissance publique relevant de la Fonction publique, il paraît cependant souhaitable d'assurer une meilleure égalité de traitement entre nationaux français, ressortissants des Etats membres de l'Union européenne et étrangers extracommunautaires.» Inégalité aussi parmi les diplômés L'enjeu de la proposition de loi consiste aussi à ouvrir davantage le marché du travail dans le secteur privé.Selon l'étude du cabinet Bernard Brunhes Consultants, les métiers dont l'exercice est soumis à une condition de nationalité totalisent au moins 615 000 emplois, contre 625 000 pour les professions dont l'exercice est soumis à une condition de diplôme français. Certes, observe l'auteure de la proposition de loi, «des procédures dérogatoires existent, visant à autoriser des étrangers titulaires d'un diplôme français à exercer en France. Elles sont d'ailleurs devenues la règle dans bien des cas. Néanmoins, elles sont longues, lourdes et humiliantes. Pire, puisqu'un étranger titulaire d'un diplôme français doit effectuer une démarche supplémentaire pour travailler sur le territoire national par rapport à un Français possédant le même diplôme, les procédures dérogatoires semblent jeter l'opprobre sur le diplôme même dont la valeur varie suivant son détenteur. Cet état de fait est contraire aux exigences de notre droit républicain fondé sur le mérite personnel».Plus encore, s'irrite la sénatrice, «il paraît ainsi plus aisé à un membre d'un Etat européen possédant un diplôme de son pays d'exercer en France qu'à un ressortissant d'un pays extracommunautaire titulaire d'un diplôme français.Cette inégalité matérielle interroge les fondements mêmes de notre modèle d'intégration».