PHOTO : Riad Entretien réalisé par Hasna Yacoub La Tribune : Quelle évaluation faites-vous des relations bilatérales entre l'Algérie et l'Arabie saoudite ?
L'ambassadeur d'Arabie saoudite : Les missions diplomatiques ont pour mission de promouvoir les relations bilatérales dans tous les domaines et l'ambassade de l'Arabie saoudite en Algérie œuvre au renforcement des relations entre nos deux pays. Le roi Abdellah tient à hisser les relations politiques à un niveau excellent et à promouvoir les relations économiques des deux pays qui ont toujours été proches, et frères. D'ailleurs, cette année, de nombreuses visites sont inscrites dans le cadre du renforcement des liens d'amitié traditionnels à travers la consolidation du dialogue politique bilatéral de haut niveau et la dynamisation de la coopération mutuelle vu les potentialités qu'offrent les deux pays. Il est à rappeler que la visite de l'émir Saoud El Fayçal, ministre des Affaires étrangères du royaume d'Arabie saoudite, en mars dernier, a été l'occasion de la signature d'un mémorandum d'entente et de concertation politique entre l'Algérie et le royaume. Il y a eu également les visites bilatérales qui ont été programmées dans le cadre de la Ligue arabe ou encore l'Organisation de la conférence islamique. Il est vrai qu'actuellement les relations et les échanges entre les deux pays ne répondent pas encore aux aspirations des dirigeants de nos Etats qui s'attellent à créer une dynamique de développement positive et à hisser les relations économiques au plus haut niveau. Beaucoup de missions économiques saoudiennes ont fait le déplacement à Alger, ces dernières années, pour parler affaires, projets. Mais la part des investissements saoudiens en Algérie reste toutefois maigre. A quoi cela est-il dû ? Sans aucun doute, il y a une activité économique saoudienne importante en Algérie. Cette activité ne se limite pas aux secteurs de l'immobilier. Nous avons une usine de médicament au niveau de la nouvelle ville de Sidi Abdellah, un ensemble de projets au niveau de la ville d'Oran ou encore à Alger. Mais, malgré cela, il est vrai que l'investissement saoudien reste faible en Algérie. La raison est que l'Arabie saoudite a, elle-même, encore besoin d'investissements et les hommes d'affaires saoudiens participent au développement de leur pays. L'Algérie offre des possibilités d'investissement énormes et l'Arabie saoudite en est consciente et veille à faire fructifier ses investissements dans ce pays. D'ailleurs, des études de marché sur la possibilité d'investissements en Algérie sont faites, notamment après les dernières réformes engagées. A combien peut-on estimer le volume des échanges commerciaux entre l'Algérie et l'Arabie saoudite aujourd'hui ? Le chiffre disponible à notre niveau est de 400 à 450 millions de dollars. Quel est le budget que le royaume affecte à l'action sociale en Algérie ? Le fonds saoudien de soutien est «la main généreuse» du royaume d'Arabie saoudite qui lui permet de porter soutien aux nécessiteux dans le monde, en particulier dans les pays arabes et musulmans. Le fonds saoudien a réalisé de nombreux projets en Algérie, que ce soit des routes, des écoles, des hôpitaux ou encore des centres de formation professionnelle, et cela dans différentes régions du pays. Les dernières actions… Le Fonds a participé à la réalisation d'un grand hôpital à Annaba, la construction en cours d'une route maritime à Bordj El Bahri, des écoles à Boumerdès et bien d'autres projets qui seront prochainement inaugurés. Pouvez-vous nous parler du mégaprojet de la cité de la mer d'Oran ? Comme je le disais donc, cette année a connu une grande activité économique entre les deux pays, notamment dans l'immobilier et le tourisme. Le groupe saoudien SNASCO s'est lancé dans un mégaprojet de plus de 400 millions d'euros, portant réalisation d'un ensemble immobilier de plus de 2 000 logements haut standing à Oran, intitulé «cité de la Mer». Cette opération constitue le premier investissement en Algérie de cet opérateur économique depuis son implantation en 2007 dans le pays. Depuis quelques années, un reproche est fait à l'Arabie saoudite, celui de dépasser ses quotas de production au sein de l'OPEP. Qu'en pensez-vous ? Vous savez que l'Arabie saoudite est le plus grand producteur de pétrole dans le monde. De ce fait, elle a plus de responsabilités que les autres pays producteurs devant le marché mondial. Il y a des producteurs et des consommateurs et les intérêts lient les deux groupes. Vous savez que la hausse vertigineuse du prix du baril induit une augmentation des prix des matières premières. En deuxième lieu, l'Arabie saoudite tente d'équilibrer entre les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs : un prix élevé du baril va mener à une inflation et une récession des économies. Le royaume produit actuellement près de 10 millions de barils par jour et son poids est de ce fait indéniable. Il est tout à fait normal qu'il se sacrifie, qu'il subisse des pressions… Nous avons respecté la dernière décision de l'OPEP, prise la semaine dernière, de baisser la production de 500 000 barils mais avec l'espoir que le prix du baril soit équitable pour toutes les parties : satisfaction du producteur et du consommateur. L'Arabie saoudite prend en compte les intérêts des deux parties mais n'est-elle pas tenue de respecter la décision de l'OPEP ? L'Arabie saoudite a de tout temps respecté les décisions prises au sein de l'organisation. Elle a toujours veillé à avoir des échanges bilatéraux avec les membres de l'OPEP mais j'insiste sur le fait qu'un certain équilibre doit être respecté entre le consommateur et le producteur de pétrole afin de préserver l'économie mondiale. La récession et l'inflation vont toucher en premier lieu les pays en développement. Quand les ressources d'un pays sont composées de 90 ou 98% des revenus pétroliers, il faut une certaine logique dans la prise de décision. L'Arabie saoudite fait partie de ces pays dont l'ensemble des revenus est constitué de la rente pétrolière. Que faites-vous pour diversifier vos ressources ? C'était le cas par le passé mais, depuis une vingtaine d'années, l'Etat travaille à diversifier les ressources. Actuellement, en 2008, les revenus pétroliers ont représenté 83% des exportations. Donc 17% des revenus sont hors hydrocarbures. La stratégie du gouvernement vise à atteindre les 25% à court terme (les dix prochaines années) et cela à travers la réalisation des grands pôles économiques qui vont créer de l'emploi et diversifier les ressources du pays. L'Arabie saoudite aspire à créer de l'emploi et à faire face au chômage qui a atteint les 11% en 2007. Pourtant, le pays accueille plus de 1,5 million de travailleurs étrangers. Pouvez-vous expliquer ce paradoxe ? Pour éradiquer le chômage, il faut d'abord former les jeunes et créer une force productrice pour remplacer la main-d'œuvre étrangère. L'Arabie saoudite a axé ses efforts sur deux volets essentiels : l'éducation et la formation. Nous avons actuellement au moins 60 000 étudiants qui se forment à l'étranger dans les domaines techniques. Quant à la présence des travailleurs étrangers dans notre pays, elle constitue un passage obligé pour l'Arabie saoudite. Il est vrai que les autorités ont pris conscience, depuis quelques années, des méfaits de la présence incontrôlée des étrangers et nous avons actuellement un programme pour gérer la main-d'œuvre étrangère selon sa qualification. La main-d'œuvre étrangère a participé dans la construction et le développement de notre pays, nous tentons de lui reconnaître cela mais nous aspirons tout de même à diminuer son nombre pour diminuer les problèmes sociaux et culturels induits. Nous avons donc démarré depuis trois ans un programme et qui est appliqué avec plus de rigueur depuis un an et demi. Il va s'étendre encore sur les cinq prochaines années et va permettre de réduire le nombre des ouvriers étrangers. Quelles sont les grandes lignes de ce programme ? Cette stratégie a commencé avec le lancement des centres publics et privés de formation professionnelle pour les hommes et les femmes, afin de créer une main-d'œuvre saoudienne qualifiée dans tous les domaines (usines de véhicules, médicaments, services…). En trois ans, plus de 80 000 personnes ont été formées, ce qui démontre du changement radical opéré dans la mentalité du citoyen saoudien qui a pris conscience de l'importance de sa participation active dans le développement de son pays. Nous avons opéré des campagnes de sensibilisation à travers les médias mais aussi fixé un seuil minimum du salaire pour le travailleur saoudien et limiter les heures de travail. Tout cela pour l'amener à travailler davantage. Est-ce que le nombre de travailleurs étrangers a baissé ? Et de combien ? Il est peu probable que ce nombre baisse dans le contexte actuel car l'Arabie saoudite est un grand chantier. Nous avons de grands projets en cours de réalisation. Dans les trois ans à venir, on doit réaliser plus de 4 500 centres hospitaliers, plus de 6 000 écoles. Tout cela nécessite la participation des entreprises étrangères et nationales et de la main-d'œuvre étrangère. Ces dernières années, le gouvernement s'attelle en priorité à renforcer et à développer les secteurs de l'éducation et de la santé. Vient ensuite celui des services. Nous avons donc besoin de temps pour satisfaire nos propres besoins en cadres et en main-d'œuvre spécialisée. Mais pas avant 2010 ou 2011. Cela doit nécessiter une enveloppe financière conséquente… L'enveloppe financière consacrée à ces projets de développement est très importante. Les rentrées du pétrole pour l'année en cours sont très conséquentes. Elles vont dépasser les 350 milliards de dollars. Une grande partie de ce budget sera consacrée au développement et à la construction des structures de base. Il y a un accord avec les autres pays du Golfe afin de limiter la main-d'œuvre étrangère qui a sa culture, ses habitudes, etc. Ce qui influence la société saoudienne. Dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe, l'Arabie saoudite fait partie de ces pays qui ont décidé de limiter le contrat de séjour de la main-d'œuvre étrangère. A titre d'exemple, l'ouvrier non spécialisé a un contrat qui n'excède pas les cinq ans. L'Arabie saoudite a pris conscience de l'influence d'une présence importante d'étrangers sur son territoire, mais les besoins du développement l'ont obligée à faire un choix. On s'est retrouvé, de fait, entre le marteau et l'enclume. Qu'en est-il de la situation sécuritaire ? Le terrorisme est un fléau transnational qui a touché plusieurs régions du monde. L'Arabie saoudite a été frappée par ce fléau de plein fouet et il est regrettable de reconnaître que ce sont des citoyens saoudiens ou originaires de certains pays arabes qui ont été derrière les attentats perpétrés dans le royaume. Pour y faire face, l'Arabie saoudite n'a pas choisi la violence. Une stratégie de sensibilisation a été menée dans les mosquées, au sein des écoles, à travers les médias. Des actions de solidarité avec les victimes du terrorisme et les familles des terroristes ont été adoptées. Nous avons mis en place une stratégie de lutte qui consiste à récupérer les repentis en les prenant en charge ainsi que leurs familles, d'assurer leur réintégration dans la société en leur offrant un emploi. Avec cette politique, l'Arabie saoudite a réussi pleinement à faire face au terrorisme. Mis à part les principaux accusés dans les attentats, les autres sont traités avec beaucoup d'humanisme. Une manière de leur faire comprendre que leur pays a besoin d'eux. C'est ainsi que ceux qui ont rejoint l'extrémisme reviennent peu à peu au droit chemin et se rendent compte de leurs erreurs. Nous avons commencé cette stratégie en 2003 et nous sommes en train d'en récolter les fruits. Nous ne disons pas que le terrorisme est vaincu mais la situation s'est améliorée. Nos services de sécurité restent vigilants et réussissent à déjouer les tentatives d'attentats. L'Algérie a également tenté de récupérer ses enfants «égarés» à travers la loi de la réconciliation nationale. Les derniers attentats perpétrés ont poussé certains à faire douter de cette stratégie et d'annoncer son échec. Qu'en pensez-vous ? La loi sur la réconciliation nationale, initiée par le président Abdelaziz Bouteflika, est loin d'être un échec. Au contraire, c'est grâce à cette stratégie que l'Algérie a réussi à transcender les années d'instabilité et d'aller vers le développement. Les attentats perpétrés, de temps à autre, sont des opérations isolées qui renseignent sur le désespoir des groupes terroristes. Cela se passe également en Arabie saoudite et ailleurs, dans d'autres pays du monde. L'Algérie est un immense pays. Je dirai même que l'Algérie est un continent et qu'il est difficile d'assurer la sécurité sur tout le territoire. Il y a toutes sortes de trafic au niveau des frontières. Les efforts fournis dans la réconciliation et la concorde sont énormes et l'évaluation de ces politiques par les observateurs étrangers a été très positive, confirmant sa réussite. Existe-t-il une coopération dans la lutte contre le terrorisme entre nos deux pays ? L'Algérie et l'Arabie saoudite font face au même phénomène. Il est évident qu'une coopération entre nos deux pays est effective, que ce soit sur le plan bilatéral ou encore dans le cadre des organisations arabes et musulmanes. Des rencontres périodiques sont organisées entre les ministres de l'Intérieur des pays arabes à Tunis où a été installé le siège de l'Organisation de la conférence islamique. Il y a une coopération de très haut niveau.
Quelle place occupe votre pays dans le dialogue entre les religions ? Le roi d'Arabie saoudite a été le premier à avoir appelé au dialogue entre les religions. Il y a eu une rencontre au début de l'année en cours à La Mecque où il a été question du dialogue des religions. Il y a eu aussi une rencontre à Madrid les 16 et 17 juin dernier, en présence du roi Abdallah et du souverain d'Espagne et des oulama. Il y a eu, également, la création du centre «Abdallah pour le dialogue des religions». L'islam est une religion de dialogue et de tolérance. Dommage qu'il a été mis au banc des accusés alors qu'il est innocent de tout ce qui lui a été collé. Ce n'est pas parce que des terroristes sont musulmans ou arabes que l'islam est une religion d'extrémisme. Ces derniers ne le représentent pas. L'islam est plus haut pour que son esprit soit limité à des personnes. Ni l'islam ni l'appartenance à la nation arabe n'ont réussi à rassembler les pays musulmans et arabes dans un ensemble afin de constituer une force politique et économique, à l'instar de l'Union européenne. Les conflits fratricides séparent depuis toujours les arabes et les musulmans. Pensez-vous que cette situation pourrait changer un jour ? Le monde musulman est organisé dans l'Organisation de la conférence islamique. C'est déjà un cadre où des rencontres sont organisées chaque quatre ans. La dernière conférence s'est tenue à Dakkar. Mais le monde islamique comme nous le connaissons est constitué à 80% de pays pauvres, sous-développés, vivant d'énormes problèmes internes (guerres, conflits frontaliers) et c'est dans le cadre de l'Organisation islamique et le travail de coopération interarabe, on l'espère, que l'union se dessinera afin que le monde arabe et islamique ait son poids dans le monde. Des problèmes se posent pour l'organisation de la omra. Qu'en est-il ? L'opération de la omra commence au début de l'année pour prendre fin à la mi-septembre. Cette longue période offre une possibilité à tout le monde de se rendre aux Lieux saints. En Algérie, la majorité des candidats à la omra préfère se rendre durant le mois de Ramadhan. L'ambassade d'Arabie saoudite, comme chaque année, consacre tous ses moyens afin de satisfaire les demandes de visas. Nous avons un système très développé pour le traitement des demandes et, pour preuve, certains jours, ce sont plus de 4 000 demandes qui sont traitées. Nous travaillons avec plus de 90 agences agréées et les protestations ont été formulées de la part de 5 ou 6 opérateurs uniquement. Ces agences ont pris en charge plus de 70 000 citoyens. Jusqu'à aujourd'hui (samedi dernier, ndlr), nous avons délivré 118 000 visas pour la omra. Ce chiffre atteindra d'ici le 15 septembre, date de clôture de cette opération, les 125 000 ou les 130 000 visas. Le 15 septembre de l'année dernière, le nombre de visas délivré a été de 110 000. Donc, nous ne faisons aucune limitation. Nous avons une hausse annuelle de 10% dans la délivrance de visas. Les agences qui ont créé une polémique ont des problèmes internes à leur niveau et dans leur travail. Leurs vis-à-vis saoudiens ont été arrêtés par les autorités saoudiennes. Mais ces problèmes concernent aussi les délégations lors du pèlerinage annuel… La délégation (el biatha) a une grande responsabilité et je pense que c'est pour un meilleur encadrement du hadj que le gouvernement algérien a pensé à la création de l'Office national pour l'opération du hadj. Mais le problème qui se pose à la biatha algérienne est celui des hadji algériens qui rejoignent La Mecque depuis des pays étrangers. La délégation prend ses dispositions pour un nombre donné de hadji et se retrouve avec un surnombre, donc des problèmes de transport, d'hébergement et de restauration. C'est ce qui crée des problèmes. Notre évaluation est très positive pour la biatha algérienne. Il faut dire que l'opération hadj n'est pas facile à organiser : en une période courte d'une quinzaine de jours, plus de 3,5 millions de personnes vont se retrouver au même endroit. Il faut les héberger, les nourrir, les déplacer… donc, il y a forcément des problèmes qui se posent. Des problèmes face à 3,5 millions de personnes ? L'Arabie saoudite a l'honneur de veiller à l'opération du hadj et le royaume veille chaque année à améliorer les conditions de déroulement de cette opération sur les Lieux saints. Depuis trois ans, nous avons amélioré et agrandi le lieu de la lapidation «Djamarat», le lieu central de La Mecque, la reconstruction totale des hôtels… le travail se fait 24 h sur 24. Comment justifiez-vous l'augmentation des prix ? Les prix de l'immobilier et de l'hébergement ont augmenté. Mais nous pensons qu'à la fin des travaux et du réaménagement, les choses vont reprendre leur cours normal et les prix du hadj baisseront de nouveau.