Accusé de dérive autoritaire et de vouloir «islamiser» la société turque, le Premier ministre Erdogan est, aujourd'hui, confronté à un mouvement de contestation d'une ampleur inédite, qui s'est déclenché pour demander son départ, pour la première fois depuis l'arrivée au pouvoir de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) en 2002. Depuis vendredi, la protestation d'une poignée de militants associatifs contre le projet de destruction d'un parc public d'Istanbul a, peu à peu, gagné l'ensemble de la Turquie. A Istanbul, Ankara ou encore Izmir, dans l'ouest du pays, les mêmes scènes d'affrontements se sont répétées dans la nuit de lundi à mardi. Plus de 2000 personnes ont été blessées lors des affrontements violents entre la police et les manifestants depuis cinq jours rien qu'à Istanbul et Ankara, selon les ONG de défense des droits de l'homme et les associations de médecins. Aux jets de gaz lacrymogènes et aux canons à eau de la police ont répondu les manifestants par des jets de pierres et d'objets divers. Au cœur de la protestation, l'emblématique place Taksim, dans le centre d'Istanbul, a une nouvelle fois été occupée une bonne partie de la nuit de lundi à mardi par des milliers de manifestants qui, bannières rouges au vent, ont réclamé le départ du chef du gouvernement aux cris de «Tayyip, démission !». Avant que le bras de fer ne se durcit, mardi, avec l'entrée en grève d'un syndicat, après la mort d'un deuxième manifestant. Il s'agit d'un jeune homme percuté par une voiture lors d'une manifestation à Istanbul, alors qu'un deuxième protestataire, âgé de 22 ans, a été tué lundi soir dans un rassemblement à Hatay de plusieurs «coups de feu tirés par une personne non identifiée», a annoncé dans la nuit le gouverneur de la ville, Celalettin Lekesiz. C'est ainsi que la Confédération des syndicats du secteur public (KESK) a décidé d'apporter son soutien à la contestation en entamant, mardi, une grève de deux jours. «La terreur exercée par l'Etat contre des manifestations totalement pacifiques se poursuit de telle façon qu'elle menace la vie des civils», a jugé la centrale, marquée à gauche, qui revendique 240 000 adhérents. «Oui nous sommes au printemps... mais il ne deviendra pas un hiver», selon Erdogan Lundi, M. Gül a, une nouvelle fois, appelé au calme en jugeant «tout à fait normal» que se déroulent des «manifestations pacifiques». Et M. Arinç a regretté, dès samedi, que le dialogue avec les opposants à la destruction du parc Gezi d'Istanbul, à l'origine du mouvement, n'ait pas primé sur les gaz lacrymogènes. A l'inverse, et sûr de lui, M. Erdogan a encore fois défié la rue avant de quitter lundi à la mi-journée la Turquie pour une tournée de quatre jours dans les pays du Maghreb. «Nous resterons fermes», a affirmé le chef du gouvernement à la presse. Le Premier ministre a reconnu que des «erreurs» avaient été commises par la police et a promis des sanctions contre ces excès. Mais il a répété qu'il mènerait le projet d'aménagement urbain contesté de la place Taksim jusqu'à son terme. Et a ajouté qu'il y construirait une mosquée. «Oui, nous sommes maintenant au printemps, mais nous ne le laisserons pas devenir un hiver», a-t-il ajouté dans une allusion au «Printemps arabes». Avant d'accuser les contestataires d'être menés par des «extrémistes» ayant des «liens» avec l'étranger. Quelques heures plus tard, de Rabat cette fois, M. Erdogan a assuré, au cours d'une conférence de presse, que la situation était «en train de revenir au calme». «A mon retour de cette visite au Maghreb, les problèmes seront réglés», a-t-il poursuivi. Le chef du gouvernement a, par ailleurs, accusé ses opposants de récupérer au plan politique ce mouvement de contestation. «Mon pays donnera sa réponse au cours de ces élections», a-t-il souligné, en faisant allusion aux élections locales de 2014. Tout en étant sûr de sa force électorale, il ajoutera en perspective : «Si vraiment nous avons des pratiques antidémocratiques, notre nation nous renversera.» De nombreuses critiques à l'étranger La brutalité de la répression a suscité de nombreuses critiques dans les pays étrangers. Une nouvelle fois, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a tancé, lundi, son allié turc, condamnant l'usage «excessif» de la force par la police. La France et le Royaume-Uni ont également dénoncé la brutalité de la répression, tandis que l'ONG Amnesty International a exhorté les autorités d'Ankara à cesser immédiatement leur recours «abusif» à la force et surtout à révéler l'origine des blessures infligées aux victimes civiles.