Des milliers de personnes ont à nouveau envahi lundi soir la place Taksim d'Istanbul, tandis que la police est intervenue pour disperser des manifestations à la fois aux abords des bureaux stambouliote du chef du gouvernement Recep Tayyip Erdogan et à Ankara. C'est la quatrième journée consécutive que des affrontements ont lieu en Turquie entre policiers et manifestants hostiles au chef du gouvernement, qui a de son côté nié toute dérive autoritaire et rejeté l'idée d'un "printemps turc", assurant même du Maroc, où il était en déplacement qu'un retour au calme était en cours dans son pays. Parallèlement, pour la première fois depuis le début du mouvement, la mort d'une personne a été signalée : l'Union des médecins turcs a annoncé qu'un jeune homme avait été tué dimanche soir à Istanbul par une voiture ayant percuté la foule qui protestait. Après une trêve de quelques heures, manifestants et forces de l'ordre ont repris leur violente confrontation, tant à Ankara, sur la place centrale de Kizalay, qu'à Istanbul, à proximité des bureaux du Premier ministre. Aux grenades lacrymogènes et aux canons à eau, les contestataires ont riposté par des jets de pierres. Toujours aussi déterminés, les manifestants ont à nouveau envahi par milliers la place Taksim, le coeur de la contestation, brandissant des drapeaux turcs et scandant "Tayyip, démission !" Sûr de lui, M. Erdogan a une nouvelle fois défié la rue avant de quitter lundi à la mi-journée la Turquie pour une tournée de quatre jours dans les pays du Maghreb. "Nous resterons fermes", a affirmé le chef du gouvernement à la presse. "Mon pays donnera sa réponse au cours de ces élections (ndlr : les élections locales de 2014)", a-t-il souligné, sûr de sa force électorale, "si vraiment nous avons des pratiques antidémocratiques, notre Nation nous renversera". "Oui, nous sommes maintenant au printemps, mais nous ne le laisserons pas devenir un hiver", a-t-il ajouté dans une allusion au "Printemps arabe". Avant d'accuser les contestataires d'être menés par des "extrémistes" ayant des "liens" avec l'étranger. Quelques heures plus tard, de Rabat cette fois, M. Erdogan a assuré au cours d'une conférence de presse que la situation était "en train de revenir au calme". "A mon retour de cette visite (au Maghreb, ndlr), les problèmes seront réglés", a-t-il poursuivi. Le chef du gouvernement a par ailleurs accusé ses opposants de récupérer au plan politique ce mouvement de contestation. "Le parti républicain (du peuple) et d'autres sont parties prenantes dans ces événements", a dit M. Erdogan. Plus conciliant, le président turc Abdullah Gül a, quant à lui, appelé les manifestants au calme et pris, une fois encore, le contrepied du Premier ministre. "Une démocratie ne signifie pas seulement (une victoire) aux élections (...) Il est tout à fait naturel d'exprimer des opinions différentes (...) dans des manifestations pacifiques", a déclaré M. Gül. "Je ne sais pas ce qu'a dit le président, mais, pour moi, la démocratie vient des urnes", a, à son tour, lancé, du Maroc, M. Erdogan. La Bourse d'Istanbul a chuté lundi de 10,47% en clôture, traduisant l'inquiétude des marchés face à la situation. Dans son sillage, la livre turque a également brutalement chuté. L'euro s'échangeait lundi à 2,46 livres turques contre 2,35 vendredi, tandis que le dollar américain cotait 1,89 livre turque contre 1,81 vendredi. Violences policières Depuis vendredi, la protestation d'une poignée de militants associatifs contre le projet de destruction d'un parc public d'Istanbul a peu à peu gagné l'ensemble de la Turquie. Accusé de dérive autoritaire et de vouloir "islamiser" la société turque, M. Erdogan est aujourd'hui confronté à un mouvement de contestation d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) en 2002. Les violences des trois derniers jours ont fait plus de mille blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l'Homme et les syndicats de médecins des deux villes. Ces chiffres n'ont pas été confirmés par les autorités, le ministre de l'Intérieur Muammer Güler ayant évoqué dimanche un bilan de 58 civils et 115 policiers blessés pendant les 235 manifestations recensées entre mardi dernier et dimanche dans 67 villes. D'après M. Güler, la police avait au total interpellé dimanche plus de 1.700 manifestants, pour la plupart rapidement relâchés. La brutalité de la répression, largement évoquées sur les réseaux sociaux turcs, a suscité de nombreuses critiques dans les pays étrangers. Une nouvelle fois, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a tancé lundi son allié turc, condamnant l'usage "excessif" de la force par la police. La France et le Royaume uni ont également dénoncé la brutalité de la répression, tandis que l'ONG Amnesty International a exhorté les autorités d'Ankara à cesser immédiatement leur recours "abusif" à la force et surtout à révéler l'origine des blessures infligées aux victimes civiles. Au sein même du pouvoir, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre dès samedi pour regretter la brutalité des interventions policières. Comme le président Gül et le vice-Premier ministre Bülent Arinç, qui a prôné les vertus du dialogue "plutôt que de tirer du gaz sur des gens". Le Premier ministre a reconnu que des "erreurs" avaient été commises par la police et a promis des sanctions contre ses excès. Mais il a répété qu'il mènerait le projet d'aménagement urbain contesté de la place Taksim jusqu'à son terme. Et a ajouté dimanche qu'il y construirait une mosquée.