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«C'est un coup de poignard dans le dos des victimes»
Mme Saïda Benhabylès, membre fondateur du Centre de recherches et d'étude sur le terrorisme et l'aide aux victimes (Paris), au Temps d'Algérie :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 15 - 06 - 2013

Mme Saïda Benhabylès, lauréate du Prix des Nations unies pour le soutien civil aux victimes et la lutte contre le terrorisme et membre fondateur du Centre de recherches et d'étude sur le terrorisme et l'aide aux victimes du terrorisme, dont le siège se trouve à Paris, commente, dans cet entretien, la décision américaine d'armer les «insurgés» syriens et ses conséquences sur la sécurité dans la région.
Le Temps d'Algérie : Les Etats-Unis d'Amérique ont décidé d'armer les «insurgés» sévissant en Syrie. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
Mme Saïda Benhabylès : L'histoire se répète. Je ne comprends pas les motivations de cette décision. Mais je peux dire que cette décision provoquera la déstabilisation totale de toute la région, comme cela a été fait en Libye où l'on constate les conséquences du largage d'armes en plein conflit armé dans ce pays. C'est très dangereux comme décision.
D'après vous, les Etats-Unis ignorent les conséquences de cette décision ?
De deux choses l'une, ou les Américains ont pris cette décision par méconnaissance de la réalité du terrain en Syrie, ou bien ils cherchent, en armant les «insurgés» sévissant en Syrie, à déstabiliser toute la région. Tout le monde constate ce qui se passe en Libye après que des armes eurent été larguées au profit des «insurgés». On sait qu'une grande partie de ces armes a atterri chez les djihadistes qui multiplient les crimes dans ce pays.
Ces armes américaines ont-elles de fortes chances d'atterrir chez les djihadistes et les terroristes en Syrie ?
Ces armes atterriront, sans aucun doute, chez les djihadistes et les terroristes sévissant en terre syrienne. C'est inévitable. On sait que la grande partie des combattants qui se battent contre le pouvoir en Syrie sont des djihadistes et ces derniers feront tout pour obtenir ces armes, quitte à se battre contre l'opposition politique syrienne. L'opposition politique syrienne est dépassée par les djihadistes qui arrivent de partout. De cette façon, le terrorisme ne sera que renforcé et l'histoire nous a montré que le terrorisme est transnational. Il frappe en Syrie mais peut également frapper partout dans le monde.
Je vous cite l'exemple de la Libye. La France avait largué des armes au profit des «insurgés» en plein conflit armé. La France a eu à faire face aux mêmes armes dans son offensive au nord du Mali. Une grande partie de ces armes ayant atterri chez les djihadistes qui sévissaient au nord du Mali. Les armes larguées par la France se sont, donc, retournées contre ce pays. La même chose risque d'arriver si les Américains vont jusqu'au bout de leur décision en armant les «insurgés» sévissant en Syrie.
Les Américains disent que la CIA veillera à ce que ces armes n'atterrissent pas chez les djihadistes…
Il est impossible d'assurer que les armes américaines n'atterrissent pas chez les djihadistes et terroristes d'Al Qaïda sévissant en grand nombre en Syrie. Les USA ne peuvent pas assurer ça. Souvenez-vous qu'en Libye, les djihadistes s'étaient alliés aux autres forces opposantes au régime de Mouammar El Kadhafi. Après la chute d'El Kadhafi, les djihadistes ont pris le dessus et se sont retournés contre leurs anciens alliés.
Ce sera la même chose en Syrie. Même si ces armes atterriront chez l'opposition politique syrienne, les djihadistes et terroristes s'en empareront par la force. Il est possible, également, que dans le cadre d'un deal, cette même opposition politique syrienne remette elle-même ces armes à ces djihadistes et terroristes qui sèment le chaos en Syrie. Il est donc impossible à la CIA d'assurer que ces armes n'atterrissent pas chez les djihadistes et terroristes. C'est une logique dangereuse de la part des USA que de vouloir armer les «insurgés» en Syrie. La situation en Syrie est déjà trop grave à cause des armes fournies par plusieurs pays, dont le Qatar et l'Arabie saoudite aux «rebelles» qui sèment mort et désolation en Syrie.
En tant que membre fondateur d'une organisation internationale des victimes du terrorisme, n'avez-vous pas le sentiment qu'armer les djihadistes sévissant en Syrie est un coup de poignard dans votre dos ?
Exactement. L'intention américaine d'armer les «insurgés» en Syrie, dont la plus grande partie est composée de djihadistes et de terroristes d'Al Qaïda, est un coup porté dans notre dos, nous, les victimes du terrorisme. C'est un coup de poignard porté dans le dos de toutes les victimes du terrorisme dans le monde. Vous savez, ce qui se passe est une manière de renforcer le terrorisme. C'est grave. Il y a un antécédent et voyez ce qui se passe en Libye et en Irak. On veut faire subir le même sort à la Syrie en armant les djihadistes et les terroristes. Le silence est imposé quant aux crimes qui se déroulent actuellement en Libye. Des crimes commis par les djihadistes armés par la France, notamment. Des crimes dont on ne parle pas.
D'ailleurs des informations font état des réserves émises par les services de renseignements français quant à la fourniture d'armes aux «insurgés» sévissant en Syrie. Ces services redoutent que le scénario libyen ne se répète en Syrie, c'est-à-dire que les armes atterrissent chez les terroristes. Ces services ont déconseillé la livraison d'armes aux djihadistes sévissant en Syrie.


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