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«Les djihadistes pillent, violent et détruisent le patrimoine archéologique multimillénaire de la Syrie» Majed Nehme, directeur d'Afrique Asie au Temps d'Algérie :
Majed Nehme a été pendant dix-sept ans rédacteur en chef du magazine d'analyse politique et d'information Afrique Asie, avant qu'il devienne directeur de cette publication en 2005. Il décortique, dans cet entretien accordé au Temps d'Algérie, la situation en Syrie et évoque les djihadistes des pays du Maghreb arabe, d'ailleurs, partis «combattre» dans ce pays. Il évoque, également, le danger éventuel représenté par les djihadistes dans leurs pays respectifs et attire l'attention sur le caractère dangereux de la volonté de certains pays du Golfe et occidentaux d'armer ce qui est appelé «l'opposition syrienne». Le Temps d'Algérie : Un journal tunisien a cité le porte-parole d'Ansar Al Charia (organisation salafiste tunisienne), qui aurait affirmé que son organisation «attend le retour de Syrie des djihadistes tunisiens pour lancer la «guerre sainte» en Tunisie. Qu'en pensez-vous ? Majed Nehme : Il faudra prendre de telles affirmations avec une extrême prudence, faire la part de la fanfaronnade et de la réalité. Certes, des centaines de Tunisiens ont été recrutés par la nébuleuse djihadiste pour combattre ce qu'ils appellent le «régime impie» syrien. Cela est une réalité reconnue par tous et, en premier lieu, par les responsables tunisiens actuels. L'ancien ministre tunisien de l'Intérieur avait lui-même déclaré, il y a plus d'un an, qu'il y avait des dizaines de Tunisiens qui étaient partis en Syrie, certains ont été faits prisonniers, d'autres tués, d'autres combattent avec les groupuscules terroristes syriens et quelques-uns, après avoir découvert la supercherie, ont préféré retourner dans leur pays. Enfin, on a entendu parler, dernièrement, d'une vingtaine de djihadistes tunisiens, qui voulaient quitter les rangs de la mal-nommée Armée syrienne libre (ASL) pour rejoindre le Front d'Al-Nosra, inscrit par les Etats-Unis sur la liste des organisations terroristes, qu'ils ont été liquidés par l'ASL. Une fois le conflit syrien terminé, ces terroristes, s'ils restent en vie ou en liberté (car les autorités syriennes ont capturé un grand nombre d'entre eux), rentreront chez eux. Soit, ils se retourneront contre ceux qui les avaient trompés en les envoyant à une mort certaine, soit ils vont continuer leur action terroriste contre le pouvoir tunisien lui-même, soit ils vont rejoindre d'autres groupes terroristes en Libye, dans le Sahel, en Irak, voire en Europe. Il convient à cette occasion de vous rappeler que sur les 32 terroristes qui avaient attaqué, il y a quelques mois, le site gazier d'In Amenas, 11 étaient Tunisiens !
Cela ne rappelle-t-il pas le retour des djihadistes arabes, partis faire la guerre en Afghanistan contre l'ex-URSS, et revenus dans leurs pays respectifs pour créer des organisations terroristes, dont le Groupe islamique armé (GIA) en Algérie ? Exactement, mais pas seulement ceux qui avaient combattu en Afghanistan, mais aussi en Tchétchénie, en Bosnie, en Irak. L'Algérie en a souffert énormément avant de les vaincre stratégiquement. Dans ce jeu, tout le monde est perdant, surtout les apprentis sorciers occidentaux ou leurs supplétifs du Golfe qui les avaient utilisés pour déstabiliser leurs adversaires qui sont, en gros, tous les pouvoirs modernistes dans le monde arabo-musulman. Les Etats-Unis avaient payé le prix fort avec les attentats du 11 septembre. Mais, en fin de compte, ces djihadistes qui prétendent «libérer» ou ré-islamiser le monde musulman ont provoqué la mort de millions de musulmans. Leur vrai ennemi, c'est l'islam modéré, tolérant, ouvert. Leur anti-occidentalisme primaire n'est qu'un prétexte.
Quel serait le degré de menace pour les pays du Maghreb arabe représenté par les djihadistes partis «combattre» en Syrie ? Il ne faut jamais sous-estimer cette menace. Toutefois, ces terroristes et leurs sponsors prospèrent en général sur le vide laissé par des Etats faillis. Si l'Algérie est immunisée contre cette menace, c'est justement parce qu'elle a eu à l'affronter pendant une décennie et à la vaincre. Ce n'est pas hélas le cas d'autres pays du Maghreb, comme la Tunisie et la Libye, qui ont été déstabilisés par le mal nommé «Printemps arabe». Les nouveaux dirigeants de ces pays, ou certains d'entre eux, utilisent ces pseudo-djihadistes comme épouvantail pour mieux se maintenir au pouvoir. Soit on reste au pouvoir, soit vous aurez la guerre civile. Un chantage qui semble fonctionner quand on voit le laxisme, voire la complicité des partis islamistes au pouvoir avec ces djihadistes. Mais tout compte fait, ces terroristes qui rentrent chez eux ne constituent une menace sérieuse que si l'instabilité politique y persiste. La vraie menace, c'est plutôt l'effondrement de l'appareil sécuritaire et militaire couplé à la dégradation gravissime de la situation sociale et économique.
Quel serait le nombre approximatif des djihadistes de ces pays partis en Syrie ? Si l'on se réfère aux chiffres avancés il y a quelques mois par Lakhdar Brahim, le médiateur onusien, il y aurait quelque 40 000 combattants étrangers en Syrie, venus d'abord des pays limitrophes, Liban, Irak, Jordanie, mais aussi du Yémen, des monarchies du Golfe, d'Asie centrale et du Maghreb. Mais il y aurait, également, un millier de djihadistes européens dont certains sont déjà rentrés et commencent à inquiéter les services de sécurité européens qui, il faut le dire au passage, n'avaient jamais été enthousiastes pour l'entreprise diabolique de renversement du régime syrien avec qui ils avaient très fructueusement coopéré dans le passé dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.
Quel serait le moyen à utiliser, selon vous, pour faire face à ces djihadistes dès leur retour de Syrie ? Il faudra d'abord les empêcher d'y aller. Car, ne soyons pas dupes, s'ils ont pu entrer en Syrie, c'est qu'ils ont bénéficié de «facilités» dans certains pays limitrophes et, en premier, la Turquie et le Liban. C'est à ces «facilitateurs» qu'il faudra demander des comptes en leur expliquant que ces terroristes pourraient demain retourner leurs fusils contre eux. C'est ce qui s'est passé en Turquie avec le double attentat de Rihanieh, attribué à Al-Qaïda, et qui a déstabilisé le gouvernement islamiste d'Erdogan. Quant à la question de leur retour, s'ils réussissent à sortir vivants de ce bourbier, il faudra d'abord les repérer et les prendre en charge sécuritairement, socialement, économiquement et culturellement, pédagogiquement et surtout familialement. Il faudra également démanteler les réseaux de recrutement et sanctionner sévèrement les responsables. On voit heureusement beaucoup de responsables religieux monter au créneau pour mener une campagne de sensibilisation contre cette imposture djihadiste.
En quoi consisterait le rôle des djihadistes actuellement en Syrie ? Ils participent au combat, au pillage, au viol, à la destruction du patrimoine archéologique multimillénaire de la Syrie. Leur objectif n'est pas l'instauration d'une véritable démocratie, mais tout simplement l'instauration d'un régime califal islamique, inspiré par les principes sclérosés du wahhabisme saoudien. Le malheur, c'est que l'Occident soutient, arme et finance cette entreprise au nom de la défense des droits de l'homme !