Des centaines de milliers de partisans du mouvement des «Frères musulmans» ont engagé depuis vendredi un violent «bras de fer» avec l'armée qui a déposé mercredi le président islamiste, Mohamed Morsi, qu'elle a remplacé par Adli Mansour. Ce juriste de renommée a été chargé de conduire les affaires du pays jusqu'à la tenue des prochaines élections, dont aucune date n'a été fixée encore. Ce président intérimaire sans réel poids politique est-il en mesure de tenir le pari de normaliser la situation politique devenue explosive en l'espace de quelques jours ? Déjà trente manifestants ont perdu la vie, dont sept par des tirs de soldats et le pire est à craindre pour les jours à venir. La horde islamiste, en furie, plus nombreuse de jour en jour et, surtout, plus motivée paraît déterminée à en découdre avec les militaires et le courant laïc. Cette marée humaine qui a presque fait oublier, par son aspect compact, l'action de masse engagée dimanche dernier par les démocrates, était incontrôlable. Une véritable machine humaine qui répondait à l'appel qui lui avait été lancé par ses chefs politiques et spirituels de «défendre l'Islam». L'afflux des djihadistes Qui pourra l'arrêter ? L'ex-président Morsi qui avait lancé l'ordre de «protestation pacifique» est isolé, officiellement pour sa sécurité, au quartier général de l'état-major de l'armée qui l'avait déposé, avant de frapper le noyau dur de la résistance islamiste. Les militaires ont ordonné la détention du leader spirituel des Frères musulmans, encerclé leurs fiefs et fermé leurs émissions radiotélévisées. Aucune possibilité donc, si possibilité il y a, de lancer un message d'apaisement à la rébellion islamiste. La «journée de refus» de vendredi, après la prière du D'hor, devait être une forme de protestation à caractère pacifique qui, comme il fallait s'y attendre, a vite dégénéré. Beaucoup d'observateurs voient dans ce qui se passe en Egypte le «syndrome algérien», n'hésitant pas à faire un parallèle entre le coup d'Etat en Egypte et l'interruption du processus électoral de janvier 1992 en Algérie. La crainte serait de voir les djihadistes de tout horizon affluer en Egypte pour prêter main forte aux partisans de Morsi. De nombreuses armes sont en circulation dans ce pays qui est devenu, depuis l'arrivée des islamistes au pouvoir, il y a une année, une «oasis pour le trafic de matériel de guerre» qui se situe dans le prolongement du «marché de missiles libyens à ciel ouvert». Refoulés du Sahel à la suite de l'intervention militaire française dans le Nord du Mali, de nombreux groupes d'Aqmi, du Mujao et d'Ansar Dine ont établi leurs bases dans le sud de la Libye, devenu depuis quelques semaines le sanctuaire du terrorisme, n'attendant que l'ordre de leur hiérarchie pour franchir la frontière avec l'Egypte. Depuis Ghaza, fief de Hamas, le trafic d'armes a pris le sens inverse via les tunnels sous la frontière avec l'Egypte. Les dirigeants des pays dudit «Printemps arabe» ont de bonnes raisons de s'inquiéter de ce qui se passe chez le voisin égyptien. La Libye d'abord dont les dirigeants n'ont jamais exercé de contrôle sur le sud de leur pays, ni même à Benghazi et à Syrte. Dans ces villes rebelles, et dans une bonne partie du territoire libyen, les milices ont marqué leur camp. En Tunisie, le mouvement Ennahda annonce sans trop convaincre que l'armée tunisienne ne s'est jamais mêlée de politique. Son leader s'est limité à avertir que le coup d'Etat contre le président Morsi «alimente le radicalisme». Au diable la solidarité avec les frères égyptiens ! Même attitude passive au Maroc où les islamistes modérés du Parti de la justice et du développement (PJD) de Abdallah Benkirane, se limitent à rester eux aussi sur leurs gardes. Le fiasco du printemps arabe Tous ces nouveaux leaders islamistes maghrébins, parvenus au pouvoir par la baraka du «printemps arabe» savent que la dimension prise par le conflit syrien a conduit les puissances occidentales à changer de stratégie géopolitique pour le monde arabe. Il est difficile d'imaginer que l'Occident ne savait pas ce qui se préparait durant ces dernières semaines en Egypte. Les puissances occidentales savent qu'elles avaient maladroitement négocié leur «printemps arabe» pour mal connaître la configuration politique, ethnique et religieuse des pays de cet ensemble géographique où elles devaient expérimenter leur scénario démocratique. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France de Nicolas Sarkozy ont en fait relevé les dictatures de Ben Ali et de Moubarak, par le fondamentalisme de Ghannouchi et l'autoritarisme, le sectarisme et le favoritisme des réseaux caritatifs de Mohamed Morsi. Objectif donc, corriger ces erreurs de calculs par des émeutes politiques et sociales et, pourquoi pas, le cas échéant par le coup d'Etat militaire. Du beau travail pour ces démocraties exemplaires ! Pourquoi, en effet, l'intervention militaire en Egypte qui, on le savait, était plus ou moins souhaitée en Occident, n'a pas été condamnée ni par les Etats-Unis, ni par les gouvernements de l'Union européenne. Toutes les puissances occidentales ont gardé le profil bas dans cette affaire. Obama avait tenté, sans le dire en ces termes, de faire comprendre à Mohamed Morsi, de trouver une solution, entendre de quitter le pouvoir puisque la protestation laïque et démocratique en Egypte allait s'inscrire dans la durée. Pas de condamnation du coup de force L'Union européenne, championne du respect de la règle du jeu démocratique, refuse de parler de coup d'Etat. Les communiqués publiés, jeudi et vendredi puis samedi, par les chancelleries européennes ont tous fait l'impasse sur ce qualificatif tabou. Paris, Madrid ou Rome se sont limitées à appeler «toutes les parties à la retenue et à la prudence, tout en regrettant les pertes en vies humaines et les blessés». Des communiqués langue de bois qui signalent que «la succession d'événements, ces derniers mois, a généré une tension croissante et une grave division de la société égyptienne au point de compromettre toute possibilité d'accord de paix et de rapprocher les positions des parties». Sans «justifier l'interruption du processus démocratique», les gouvernements européens sont allés puiser leurs arguments de soutien au putsch dans le communiqué lu, lundi soir par Al Sissi, le chef du commandement militaire égyptien assurant que «le pouvoir civil sera rétabli dans les plus brefs délais possibles, un pouvoir qui doit respecter et intégrer les différentes sensibilités qui coexistent au sein de la société égyptienne». Difficile dans ces conditions de croire que le coup d'Etat en Egypte n'avait pas reçu, au préalable, l'aval des puissances occidentales !