L'armée égyptienne a menacé de prendre le pouvoir. Lundi soir, elle a donné un ultimatum de 48 heures au président Mohamed Morsi pour répondre aux appels des centaines de milliers de citoyens en colère qui réclament son départ. La «Place Tahrir» a bien sûr accueilli avec enthousiasme le communiqué du commandement militaire. A moins de 24 heures de l'expiration de l'ultimatum, le «spectre de Nasser» commençait à planer sur ce mouvement islamiste, car c'est le défunt président Nasser qui les avait neutralisés dans les années cinquante avant qu'ils ne conquiert le pouvoir, 60 ans après à la faveur du «Printemps arabe» encouragé depuis l'Occident. Les islamistes pouvaient-ils garder le pouvoir si leur leader n'avait pas cédé à la tentation d'en abuser en faisant voter une Constitution sur mesure, initiative qui a fait sortir des centaines de personnes dans les rues du Caire et des principales villes de ce pays. Ce qui se passe en Egypte est une révolte populaire comme le monde arabe n'en a pas vu depuis 2011. C'est du jamais vu depuis la révolution du 23 juillet 1953. En Occident, on s'inquiète bien sûr. Le président Barack Obama a appelé, dans la nuit de lundi, le président égyptien pour lui exprimer ses inquiétudes à la suite de ce «bras de fer» entre le pouvoir islamiste et l'armée et lui demander de chercher des solutions à cette crise afin de garantir la stabilité politique du pays et de toute la région. Or, Morsi a-t-il encore les moyens de le faire ? La volonté politique de le faire ? D'ailleurs comment ? Ses partisans ont déjà répondu au président des Etats-Unis et aux gouvernements européens qui appellent à la modération. Les Frères musulmans se sont dits prêts à relever le défi des militaires et à lutter contre ce qu'ils qualifient de «courant laïc» Ce que les Etats-Unis et l'Europe craignent le plus, c'est de voir l'Egypte, cette puissance régionale incontournable pour les questions de «stratégie de paix et de sécurité de la région», basculer dans le chaos. De nombreuses armes exhibées à la face des forces de sécurité sont en circulation dans ce pays qui est devenu, selon l'expression d'un confrère espagnol, une «oasis pour le trafic d'armes» situé dans le prolongement du marché libyen à ciel ouvert où s'approvisionnent Aqmi et le Mujao. La tentation du pouvoir absolu Mohamed Morsi, élu président en juin 2012, le premier à l'avoir été démocratiquement dans l'histoire de l'Egypte, a terminé sa première année de pouvoir dans l'échec le plus total. L'économie tourne au ralenti, son principal moteur le tourisme étant en panne, et la vie sociale de millions d'Egyptiens, déjà lamentable sous le dictateur Hosni Moubarak, s'est dégradée comme jamais auparavant. Seule la politique a connu un coup d'accélérateur mais dans le sens opposé à l'ouverture démocratique réclamée par le courant laïc qui est sorti, depuis dimanche, dans les rues des grandes villes manifester sa colère. D'ailleurs, y a-t-il en Egypte un autre espace pour se faire entendre que la «Place Tahrir». Sitôt confortablement installé dans ses fonctions, cet ingénieur qui a fait les meilleures écoles du «Monde libre», aux Etats-Unis, a vite fait de tenir à ses compatriotes la promesse faite aux Algériens, en 1991, par ses amis Abassi Madani et Ali Belhadj. «Voter une seule fois et pour la dernière fois». Morsi a commis la grave erreur, fatale même, d'avoir tenté de verrouiller légalement le jeu démocratique en faisant voter, en 2012, une Constitution sur mesure pour le parti des Frères musulmans, courant radical qui s'est autoproclamé sous le vocable pompeux de Parti de la Liberté et de la Justice. Des valeurs démocratiques universelles dans lesquelles ne s'inscrivent pas les intégristes. Des centaines de milliers d'Egyptiens convergeaient encore, hier en fin d'après-midi, vers la Place Tahrir et les centres urbains des principales villes du pays pour exiger, sans trop y croire, le départ de Mohamed Morsi. «Irhal» (dégage) ce slogan qui a poussé à la porte les Moubarak et Ben Ali n'avait plus toutefois le même sens, ni la même force qu'il y a un an, pour un certain nombre de raisons. Les démocrates en ordre dispersé Le courant laïc sait que Morsi a été élu et non coopté. Pour qu'ils le fassent «dégager» et mettre un terme à sa tentation du pouvoir absolu, les démocrates auraient dû commencer par unifier leurs rangs. Exactement comme l'ont fait les Frères musulmans en Egypte ou Ennahda en Tunisie. Or, c'est tout le contraire qui a été constaté sur le terrain politique. Des partis démocratiques en surnombre, des divisions et des affrontements pour le leadership lorsque les islamistes, eux, resserrent les rangs derrière leur leader. Les Egyptiens paient, aujourd'hui, le prix fort, pour avoir avancé en ordre dispersé. Ce qui a été valable pour l'Algérie en 1992, l'est aujourd'hui en Tunisie et en Egypte.Pour n'avoir pas su unifier ses rangs, le courant démocratique égyptien aura, tout compte fait, consolidé la position des islamistes fondamentalistes qui, eux, aussi se mobilisaient hier derrière leur leader. C'est comme l'écrivait un confrère «l'Egypte des démocrates face à l'Egypte des Frères Musulmans». Entre ces deux courants inconciliables, il y a l'armée, plus omniprésente que jamais dans les rues du Caire, d'Alexandrie ou de Port Saïd et d'Ismaïlia. Son ultimatum est en cours d'expiration. Le pire peut-il être évité ? Déjà cette révolte a eu son quota de victimes : 16 morts lundi…