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Le syndrome algérien plane sur l'Egypte
Après le limogeage subtil de Morsi
Publié dans La Tribune le 05 - 07 - 2013

L'acte II de la révolte des jeunes Egyptiens est, d'une part, une réappropriation du mouvement du 25 janvier 2011 et, d'autre part, une nationalisation d'une dynamique initiée par les services secrets occidentaux et du Golfe arabe, pour en faire une révolution nationale d'une ampleur inégalée.
C'est justement cette ampleur de la mobilisation populaire qui en fait un cas d'école et rend caduc le qualificatif de coup d'Etat militaire. La jurisprudence est ouverte et le débat sur la nature de ce qui s'est passé mercredi dernier en Egypte fera couler beaucoup d'encre. Les capitales occidentales semblent être hypocritement gênées et n'arrivent pas à qualifier la tournure des événements en Egypte. D'une part, elles rappellent que Morsi a été démocratiquement élu et, d'autre part, elles admettent que la dynamique initiée par le mouvement Tamarroud est inédite dans sa dimension et son ampleur populaires. D'où l'attitude prudente de l'Occident qui appelle néanmoins à un retour rapide à l'ordre constitutionnel. Seuls les partis islamistes dans différents pays, ont dénoncé «le coup d'Etat» et ont appelé au rétablissement de la légitimité sanctionnée par les urnes. La Turquie est le seul Etat à avoir condamné le coup de force des militaires égyptiens. Erdogan ne pouvait adopter une autre position, au risque de légitimer le mouvement populaire qui veut le démettre et qui risque de reprendre de plus belle.
Au Maroc et en Tunisie, les Frères musulmans au pouvoir ont réagit avec force en tant que parti contre l'éviction de Morsi. Si en Tunisie, c'est Ghannouchi qui est monté au créneau, au Maroc, Ben Kirane, Premier ministre et chef du parti islamiste, a exprimé la position du palais royal, laissant le soin au secrétaire général de son parti, néanmoins ministre dans son gouvernement, d'exprimer la position de son mouvement favorable à Morsi et aux Frères musulmans égyptiens. La réaction des Frères musulmans dans les différents pays est d'autant plus prévisible que certains au pouvoir redoutent une contagion, comme en Tunisie, au Maroc et en Turquie, alors que d'autres aspirent à prendre le pouvoir, comme le MSP en Algérie qui s'est rangé dans l'opposition pour se refaire une virginité après près de quatorze ans de cogestion avec le FLN et le RND. Ces mêmes partis, ont défendu bec et ongles la thèse de la contagion de ce qui est appelé pompeusement «le printemps arabe», et récuse aujourd'hui avec la même force, la contagion de Tamarroud qui semble être une dynamique propre au peuple égyptien. Pourtant, les islamistes de tout bord, n'ont pris part aux révoltes arabes qu'après l'essoufflement des dictatures ou après le changement des régimes. Mais leur organisation, leur discipline et leur pugnacité, leur ont permis de récolter les fruits de ces révoltes profitant de l'atomisation des forces de progrès et de modernité qui tout autant que les islamistes, ne disposent pas d'alternative politique viable.

La leçon égyptienne
Au lendemain de la chute de Moubarak, les partis politiques égyptiens toutes tendances confondues ont vu une voie royale s'ouvrir devant eux pour les conduire soi au Parlement, soi au gouvernement, soi à la présidence. Les islamistes déjà structurés se sont imposés comme l'unique alternative viable face à une opposition atomisée, divisée, sans repères ni alternative. Les laissés pour compte du régime de Moubarak, notamment ceux de l'Egypte profonde, des bas-fonds et des quartiers populaires. Aux premières législatives, les Frères musulmans et les salafistes raflent la mise ouvrant ainsi la voie à Morsi qui, malgré ses treize millions d'électeurs, s'est vu le nouveau Pharaon d'Egypte face à une opposition déchiquetée et qui ne représentait rien à ses yeux.
Une fois au pouvoir, il s'est cru investi d'une mission divine pour s'arroger des prérogatives absolues.
L'opposition structurée a tenté de réagir pendant une année sans résultat palpable. Ses gesticulations n'avaient d'égal que son état de délabrement et d'éclatement qui encourageait Morsi et ses alliés à s'accaparer le pouvoir sans partage, oubliant la situation économique et sociale de ceux là même qui leur ont accordé leur confiance. Lorsque Morsi s'est permis de s'attaquer à la justice, seul espoir des
Egyptiens, il a commis une autre erreur stratégique. Les jeunes révoltés, initiateurs de la révolte anti Moubarak, se sont rendus compte assez tôt du détournement de leur œuvre, ont décidé de passer l'action en créant le mouvement Tamarroud pour légitimer leur principale revendication qu'était la démission de Morsi. Les jeunes rebelles ont compris que sans un puissant mouvement populaire, ils ne pouvaient remettre en cause la légitimité d'un président élu démocratiquement. Le génie de cette jeunesse consistait justement à créer un précédent pour transcender la problématique légale. Avec dix-sept millions de personnes dans les rues d'Egypte et vingt-deux millions de signatures, Tamarroud a magistralement réussi une première mondiale et a contraint ainsi l'armée à agir. Le mouvement Tamarroud a démontré aussi le caractère obsolète de l'action politique partisane supplantée par la puissance des réseaux sociaux et autres réseaux informels avec un discours nouveau et novateur qui sache s'adresser au peuple. A travers leur mouvement, leur marketing politique, leur stratégie, les jeunes de Tamarroud ont réussi à unifier les Egyptiens et à remettre la dynamique du 25 janvier sur rail. La classe politique traditionnelle n'avait pas d'autres choix que de rallier ce puissant élan plus important que celui qui a détrôné Moubarak. Mais au-delà, Tamarroud a mis à nu le mouvement des Frères musulmans qui sont en train de montrer leur vrai visage.

L'agonie de l'Islam politique
Quelle que soit l'évolution future de la situation en Egypte, l'Islam politique a entamé sa descente en enfer. Après deux ans de règne, les Frères musulmans ont démontré leur incapacité à gérer l'Etat et à affronter les vrais défis de la société. Pourtant, la
gestion d'une période de transition nécessite un consensus et un compromis devant préserver à la fois la paix civile et la stabilité institutionnelle. Au lieu de privilégier cette voie, les Frères musulmans et, à leur tête, Morsi, ont mal évalué le rapport de force et ont cru qu'il dispose d'un chèque en blanc pour imposer leur idéologie et s'offrir tous les pouvoirs. Mais la plus grave des erreurs de Morsi est d'avoir alimenté la haine interconfessionnelle croyant naïvement que les Egyptiens allaient succomber aux chants de sirènes. Etant déjà dans le collimateur de la justice qu'ils ont malmenée, les leaders des Frères musulmans, dont Morsi, sont déjà arrêtés. Morsi et sa garde rapprochée sont détenus par l'armée. Le Guide suprême de la confrérie, Mohamed Badie, a été arrêté pour «incitation au meurtre de manifestants», son numéro 2, Khairat Echater est sous le coup d'un mandat d'arrêt et le chef du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), vitrine politique du mouvement islamiste, Saad El Katatni, a également été arrêté. Un haut responsable de l'armée a confirmé la détention «de façon préventive» de M. Morsi, laissant entendre qu'il pourrait être poursuivi, alors que la justice le convoque à un interrogatoire pour «insulte à l'institution judiciaire». Les Frères musulmans ont réagi en dénonçant un «Etat policier», Des affrontements entre pro et anti-Morsi ont fait jeudi des dizaines de blessés dans le delta du Nil, après plus d'une semaine de mobilisation émaillée de violences ayant fait une cinquantaine de morts. Au Sinaï, un soldat égyptien a été tué et deux autres ont été blessés dans une attaque coordonnée de militants islamistes à la roquette et à la mitrailleuse sur des postes de police et militaire, a-t-on indiqué de source médicale et sécuritaire. Le ministère de l'Intérieur a averti qu'il répondrait «fermement» aux troubles et des blindés ont été déployés au Caire, notamment aux abords des rassemblements pro-Morsi. L'armée a appelé à rejeter la «vengeance» et à œuvrer pour «la réconciliation nationale». Si le parti salafiste, Ennour, a préféré se préserver et se soustraire à l'unanimité des islamistes égyptiens en soutenant la démarche des militaires, les courants radicaux, notamment le mouvement Ettakfir (excommunication), qui est passé hier à l'action en s'attaquant au maillon faible de l'armée situé au Sinaï, s'y opposent. Le pas qui vient d'être franchi, hier, sonne le glas des islamistes dans un contexte international défavorable au Jihad que prônent les disciples de Seid Qotb et qui ont toujours critiqué les Frères musulmans pour leur modération et leur compromission avec les régimes laïcs.
La décision de l'Union africaine de suspendre l'Egypte, s'apparente à un coup d'épée dans l'eau d'autant plus que la majorité des pays ont réagi avec prudence tant le cas égyptien est particulier. «Le Conseil a décidé de suspendre la participation de l'Egypte aux activités de l'UA», a déclaré à la presse le secrétaire du Conseil de paix et de sécurité, Admore Kambudzi, lisant un communiqué officiel, à l'issue de plus de trois heures de réunion du CPS.
«Le Conseil réitère la condamnation et le rejet par l'UA de toute prise illégale du pouvoir», a poursuivi M. Kambudzi, «le renversement du président (Morsi) démocratiquement élu n'obéit pas aux dispositions pertinentes de la Constitution égyptienne et correspond donc à la définition du changement inconstitutionnel de pouvoir». Au début de la réunion, l'ambassadeur égyptien auprès de l'UA, Mohamed Idris, avait tenté de convaincre le CPS de ne pas suspendre son pays, arguant que l'armée n'avait fait que répondre à l'appel du peuple égyptien et que le renversement de M. Morsi n'était que la suite de la révolution populaire ayant chassé Hosni Moubarak du pouvoir en février 2011. L'Egypte n'avait alors pas été suspendue de l'UA. «J'ai défendu le cas de l'Egypte devant le CPS», a expliqué à la presse
M. Idris, sorti environ deux heures avant la décision. «Depuis le début du printemps arabe, celui-ci pose un défi à (...) l'Union africaine. L'UA, à l'époque (du renversement de M. Moubarak), avait décidé que ce qui s'était passé en Egypte était une révolution populaire et devait donc être traité en conséquence», a-t-il souligné. Le renversement de M. Morsi est une nouvelle «phase de ce qui s'est passé auparavant et mérite le même traitement», a-t-il argué.
Se voulant conforme à ses principes, l'Union africaine a manifestement fait dans la précipitation au risque de changer d'avis dans les jours qui viennent comme elle l'a fait dans d'autre cas. Le fait est que les islamistes sont de plus en plus isolés tant au plan intérieur qu'extérieur et l'agonie de leur projet politique a commencé. La manifestation d'hier sur la place Tahrir, semble être un baroud d'honneur. Ils étaient des milliers hier, selon les agences de presse, à défier les militaires et à dénoncer le coup d'Etat contre la légitimité. Les islamistes auraient peut-être mobilisé plus de gens, si les extrémistes n'avaient pas eu recours aux armes au Sinaï.
A. G.


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