Quelle sera la réaction du peuple après l'annonce des résultats? «Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple» Bertold Brecht Que se passe-t-il en Egypte? Voilà un pays en proie aux démons de la division mettant les Egyptiens devant ce cruel dilemme. Doivent-ils choisir entre la peste du Conseil militaire ou le choléra des Frères musulmans qui, pour l'histoire, ont toujours fleuri à l'ombre du Raïs à commencer par Anouar el Sadate qui les a introduits dans le jeu politique pour détruire ce qui restait du nassérisme. Les militaires en Egypte, c'est une institution qui a perdu régulièrement tous les conflits avec Israël mais qui présente de réelles compétences pour brimer le peuple. De plus, le Complexe militaro-industriel est une réalité et un vrai pouvoir économique connu, reconnu et admis. On croit vivre un conflit à l'algérienne avec l'arrêt du processus du 26 décembre 1991. Vingt ans après, le Conseil militaire fait mieux. Plusieurs mois après l'élection de la chambre des députés dominée par les Frères musulmans, il décide de dissoudre l'Assemblée bafouant du même coup la volonté du peuple qui, quoi qu'on pense, a voté pour les islamistes. «Alors que des dizaines de milliers d'Egyptiens, écrit Hacène Ouali, manifestaient sur la place Tahrir et dans d'autres villes du pays contre «le coup d'Etat de l'armée», le Conseil militaire, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, est sorti de son «bunker» pour brandir la menace contre «ceux qui veulent déstabiliser le pays». Tout en garantissant respecter le droit de manifester pacifiquement, le Conseil militaire a appelé «toutes les parties à éviter toute action qui mettrait en danger la sécurité du pays», auquel cas il agirait «avec la plus grande fermeté». Le Csfa a vertement attaqué le candidat des Frères musulmans à la présidentielle, Mohamed Morsi, en lui faisant porter la responsabilité «des divisions et de la confusion» dans la rue égyptienne. Accusés d'avoir fomenté un coup d'Etat institutionnel et de velléités de se maintenir au pouvoir, les militaires signifient que «ce qui est émis du Conseil militaire est dicté par notre conscience de l'intérêt du pays et la déclaration constitutionnelle complémentaire est imposée par les impératifs de gestion des affaires du pays en cette période critique». Les militaires finissent leur communiqué avec une phrase lourde de sens... et de conséquences: «Nous mettons en garde contre le non-respect de la légalité.» Le maréchal Hussein Tantaoui (président du Csfa) et son cartel de généraux risquent-ils le même sort? En tout cas, les manifestants ne jurent que par le départ de l'armée du pouvoir afin de permettre enfin «à Mohamed Morsy de présider aux destinées du pays». «Moch ha nemchi, howa yemchi» (nous ne partirons pas, c'est à lui (Tantaoui) de partir) (1) Un coup d'Etat scientifique? Ahmed Bensaâda nous explique la génèse de ce coup d'Etat qui était prévisible, selon lui: «D'un banal et assez quelconque lieu continuellement bondé d'autobus et de vendeurs en tous genres, la place Tahrir s'est métamorphosée, l'espace d'un «printemps» hivernal, en épicentre de l'effervescence sociale «démocratisante» de l'Egypte. Les différentes manifestations populaires qui s'y sont déroulées début 2011 ont démontré que l'idéologie de résistance non violente, théorisée par Gene Sharp, jumelée à une application pratique des concepts, acquise grâce aux formations du «Center for Applied Non Violent Action and Strategies» (Canvas, Belgrade) est d'une redoutable efficacité dans la déstabilisation des régimes autocratiques [1]....) Tiraillé entre l'état religieux de Morsi et l'Etat militaire de Chafik et arbitré par un camp «révolutionnaire» surfant sur une démocratie «de circonstance», l'avenir politique de l'Egypte est voué à d'évidentes dissensions.(2) «Selon le Conseil, ces résultats non officiels ont causé des tensions dans la rue, le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi et l'ex-Premier ministre de Hosni Moubarak, Ahmed Chafiq, ayant déjà proclamé chacun leur victoire à la présidentielle avant l'annonce officielle de la Haute Commission électorale. Le Csfa a, en outre, appelé au respect de la justice, rappelant que les décisions prises par le pouvoir judiciaire, «doivent être exécutées et toute entrave sera punie par la loi». La Haute Cour constitutionnelle en Egypte avait invalidé le 14 juin l'Assemblée du peuple dominée par les islamistes pour un vice dans la loi qui a régi son élection. La chambre a ensuite été dissoute par le Csfa qui a pris des dispositions lui permettant d'assumer le pouvoir législatif. Cette dissolution a été condamnée par les Frères musulmans comme un «coup d'Etat». Les Frères musulmans égyptiens ont menacé jeudi le pouvoir militaire d'une «confrontation» avec le peuple si leur candidat Mohamed Morsi n'était pas reconnu vainqueur de la présidentielle. «Le candidat Morsi et probable futur président de la République, pense Hacène Ouali, a appelé à «remettre le pouvoir à une autorité civile choisie avec la volonté libre des Egyptiens». Il a réaffirmé par la même occasion son attachement à une Egypte «libre, civile, démocratique, constitutionnelle et moderne». Il a également mis en garde contre «la manipulation des résultats des élections qui devraient être annoncés le plus tôt possible». «Des résultats prévus et nous ne permettrons pas de les manipuler», a-t-il menacé. Mohamed Morsi dit rejeter les mesures prises récemment par le Csfa: «Nous exprimons notre rejet de la dissolution du Parlement et l'élargissement des pouvoirs de la police militaire, tout comme nous refusons la déclaration constitutionnelle complémentaire dans une période critique que traverse le pays. En somme, l'Egypte, qui vit les heures les plus longues et les plus dangereuses de sa transition vers la démocratie, attend toujours son nouveau président. La commission électorale devrait rendre son verdict aujourd'hui ou demain. Une victoire de Morsi pourrait calmer les ardeurs des Egyptiens, mais donner les clés de la Présidence au général Chafik plongerait le pays dans un chaos certain.»(1) Pour Lahcène Senhadji, ce coup d'Etat était prévisible Il écrit: «Edmund Burke, théoricien britannique critique de la Révolution française de 1789, prédisait jadis à qui voulait l'entendre que cet évènement allait déboucher sur une prise de pouvoir de l'Armée. Une prédiction qui prit tout son sens lorsque suite à la dictature de la Terreur, le général Bonaparte profita de l'instabilité qui caractérisait la période postrévolutionnaire pour s'emparer du pouvoir et succéder à la tyrannie oligarchique des révolutionnaires. L'Egypte, que l'on pensait acquise aux Frères musulmans dont l'accession au pouvoir a été financée par le désormais bras droit des Etats-Unis dans le Monde arabe, à savoir le Qatar, a subi ces derniers jours un revirement de situation, ou plus précisément une reprise de contrôle de la part des militaires au pouvoir depuis l'éviction de Moubarak en février 2011. (...) Les militaires au pouvoir ont ensuite dissout l'Assemblée samedi sur la base d'une décision de justice invalidant le mode de scrutin des législatives tenues de novembre à janvier derniers. Une façon donc pour l'Armée de remettre à plat la domination islamiste à l'Assemblée acquise par les Frères musulmans et les salafistes, et de récupérer le pouvoir législatif à son compte au moins jusqu'à l'élection d'une nouvelle Assemblée prévue pour la fin de l'année».(3) «Ainsi, bien que ces décisions aient clairement pour but d'enrayer la machine islamiste en vue des élections, il est désormais clair que quel que soit le futur chef de l'Etat, toute décision prise par Morsi ou Chafiq devra être approuvée par les militaires, qui s'emparent donc de la démocratie et ce jusqu'à ce qu'une nouvelle assemblée soit élue.Un coup d'Etat militaire en somme, qui a de suite entrainé la «profonde inquiétude» des Etats-Unis qui ont demandé à la junte militaire au pouvoir le transfert comme promis de «l'intégralité du pouvoir à un gouvernement civil démocratiquement élu». La lutte fait donc rage entre des militaires qui ont décidé de reprendre le pouvoir à leur compte et les Etats-Unis qui tablaient depuis des mois sur l'accession au pouvoir des Frères musulmans, après leur succès aux élections législatives. Et le perdant, comme souvent, n'est autre que le peuple égyptien, qui misait tous ses espoirs sur une révolution qui aura fait des milliers de morts. Morts pour rien diront certains»...(3) Dans ces conditions, l'armée n'a fait que récupérer la donne: «Le président dans les urnes, les compétences chez les militaires», titre le quotidien cairote. Les Frères musulmans revendiquent la victoire de leur candidat Mohamed Morsi, mais, dans le camp d'Ahmed Chafik, on annonce que celui-ci sera in fine déclaré vainqueur. Le 17 juin, en plein décompte des voix, le Conseil suprême des armées s'est attribué de larges pouvoirs, dont celui de nommer la commission chargée de rédiger la future Constitution. Il prévoit de nouvelles élections pour le Parlement, récemment dissout, dans cinq mois.»(4) L'histoire rapide des ingérences occidentales Pour rappel, l'Egypte est surtout connue pour la splendeur de la civilisation pharaonique qui y a régné plusieurs centaines de siècles. Au XIXe siècle, l'Egypte de Mehemet Ali n'eut jamais de répit. Deux puissances se disputaient l'hégémonie sur l'Egypte, l'Angleterre et la France. Après l'expédition d'Egypte de Bonaparte, ce fut la bataille d'Aboukir qui fit que l'Egypte bascula dans la sphère anglaise comme relais important de l'Empire britannique naissant sur la route des Indes. Graduellement, une armée de scientifiques européens (anglais français mais aussi allemands et italiens) ceux que l'on appela plus tard les orientalistes, s'évertuait à décortiquer cet Orient mystérieux et rebelle à la «civilisation occidentale». Les aspects économiques ne furent pas étrangers à ces expéditions. L'Empire ottoman, «l'homme malade de l'Europe», perdit graduellement toutes ses provinces. La bataille de Navarin en 1827 sonna le glas de l'Empire. Les puissances européennes n'eurent de cesse d'intervenir comme maintenant dans les affaires internes des Etats. L'Empire ottoman se vit imposer un «moutassarif» chrétien, pour veiller sur les chrétiens, minorités devenues la cause européenne. Pourtant, Mehemet Ali voulut propulser son pays dans la modernité. Cependant, les docteurs d'El Azhar ne l'aidèrent pas, pire, ils combattirent toute velléité de modernisme, le cas le plus symptomatique fut l'introduction de l'imprimerie. Bien plus tard après la défaite de l'Allemagne, l'Empire ottoman fut dépecé en 1923 donnant lieu à des indépendances avec les faux accords de Sykes-Picot négociés avant la fin de la guerre. La Syrie tomba dans l'escarcelle de la France avec la création d'un pays chrétien soustrait à la Grande Syrie, l'Irak alla aux Anglais, l'Egypte eut une indépendance formelle avec les Anglais qui l'occupèrent dans les faits. Notamment, avec la compagnie du Canal de Suez, multinationale dirons-nous aujourd'hui, qui amena une autre guerre en 1956 que l'Egypte perdit. Ce fut aussi en 1917 que le malheur des Arabes prit forme avec la Déclaration Balfour qui donna au lieu et place des Arabes palestiniens un foyer aux juifs de la diaspora Où en sommes-nous aujourd'hui? Malgré les rodomontades, l'Egypte «Oum Eddounia» incanté par les pouvoirs successifs, est un concept creux. Le passage de Nasser avait donné un moment l'illusion d'un nationalisme arabe. Un pays de 80 millions d'habitants riche de sa diversité, de son histoire, de sa jeunesse, est en panne. Les deux projets de société que l'on veut lui imposer ne l'arrangent pas. Car qu'on le veuille ou non, les Frères musulmans qui existent depuis près d'un siècle, n'ont jamais constitué une alternative crédible. Le pouvoir militaire avec une armée pléthorique, avec une armée qui ne fait plus la guerre, si ce n'est à son peuple, est dépendante des Américains. Moubarak a laminé toute alternative au pouvoir se présentant, on s'en souvient, comme le garant de la stabilité au Moyen-Orient. C'est moi ou l'Algérie clamait-il à qui voulait l'entendre. Les Occidentaux ont compris que le règne de leur nervi était fini, la Révolution facebook qui n'a surpris que les naïfs,bien mise en oeuvre dans les officines étrangères, donna l'illusion à la la jeunesse égyptienne qu'elle allait être libre, que l'alternative était à portée de main et que l'Egypte allait donner du travail aux jeunes. Cruelle erreur, l'Occident sentant que la carte Moubarak avait fait son temps, comme celle du Shah d'Iran à l'époque de Saddam, d'El Gueddafi, de Ben Ali, changea de fusil d'épaule; il ne voulut pas du chaos, il donna une légitimité au Conseil militaire pour ramener l'ordre, calma les Frères musulmans par Qatar interposé et s'assura que les accords israélo-égyptiens ne seraient pas remis en cause. Les deux camps ayant donné leur accord, il faut bien mériter l'aumône de 3 milliards de dollars, on s'achemine vraisemblablement vers une victoire des islamistes avec un président qui n'aura pas les coudées franches, l'essentiel du pouvoir restant aux militaires. Les grands perdants sont naturellement les jeunes à qui on a volé leur révolution. Le peuple continuera à souffrir de l'incurie des futurs dirigeants. L'Occident sait y faire. «Le printemps arabe a fait pschitt» pour reprendre une expression de Jacques Chirac. Ainsi va le monde. 1.Hacène Ouali L'armée face aux Frères musulmans: Egypte El Watan 23 06 2012 2.Ahmed Bensaâda La place Tahrir et sa démocratiehttp://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=31406 3.L.Senhaji http://www.legrandsoir.info/ egypte-de-la-revolution-a-la-dictature-militaire.html 4. Morsi, un futur président sans compétences? 18.06.2012 | Al-Shourouk