La confusion régnait dimanche autour de l'annonce de la nomination du leader de l'opposition Mohamed ElBaradei au poste de chef du gouvernement de transition en Egypte, au moment où des manifestations massives entre partisans et opposants du président déchu Mohamed Morsi étaient en cours à travers le pays. Après que le mouvement "Tamarrod" à l'origine de la mobilisation massive contre le président démocratiquement élu Mohamed Morsi, eut annoncé dans la soirée de samedi la nomination du M. ElBaradei au poste de Premier ministre à l'issue d'une rencontre avec le président intérimaire Adly Mansour, la présidence égyptienne a expliqué qu'il "n'y a pas eu de nomination officielle". "M. Mansour a rencontré aujourd'hui (samedi) M. ElBaradei mais il n'y a pas eu jusqu'ici de nomination officielle", a déclaré Ahmad al-Mouslimani, conseiller de M. Mansour, notant toutefois qu'il était le choix "le plus logique". Une source proche du dossier a pour sa part révélé que des négociations étaient en cours avec des dirigeants du parti salafiste "al-Nour" pour tenter de les convaincre de se rallier au choix de M. ElBaradei. La presse égyptienne avait été convoquée à la présidence dans la soirée de samedi en prévision d'une annonce. De nombreux manifestants ont fait part dimanche de leur satisfaction après l'annonce de la nomination M. ElBaradei à la tête du gouvernement de transition, relevant qu'"il s'était posé comme un soutien indéfectible à leur cause". L'armée avait annoncé qu'un gouvernement doté "des pleins pouvoirs" serait nommé jusqu'à la tenue d'élections générales, dans le cadre d'une feuille de route négociée avec l'opposition représentée par M. ElBaradei, des chefs religieux chrétiens et musulmans, des représentants de Tamarrod et du parti salafiste al-Nour. L'opposition, dont Tamarrod, avait chargé mardi M. ElBaradei de la représenter dans la transition politique, après l'éviction de M. Morsi. Ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et prix Nobel de la paix en 2005, M. ElBaradei, 71 ans, était revenu en Egypte en 2010 pour s'opposer au régime de M. Moubarak. Poursuite des rassemblements pro et contre Morsi De nouveaux rassemblements des deux camps étaient en cours dans la journée de dimanche, notamment au Caire où l'armée est déployée en force pour tenter de prévenir de nouveaux affrontements. Ces manifestations s'accompagnent d'une flambée de violences qui a fait 37 morts vendredi, dont plusieurs policiers et un militaire dans le Sinaï. Depuis leur début le 26 juin, les heurts ont fait plus de 80 morts dans le pays. Sur la place Tahrir dans le centre du Caire, des groupes de manifestants anti-Morsi qui y campent depuis plusieurs jours ont été rejoints par d'autres en prévision des marches d'aujourd'hui. Dans le camp opposé, les Frères musulmans, cibles d'une campagne de répression des nouvelles autorités, ont de leur côté appelé à protester "par millions" contre "l'Etat policier" instauré après le "coup d'Etat militaire". Or, aucun pays, notamment les occidentaux, ne qualifient dans l'immédiat la destitution de M. Morsi par l'armée de son pays de "coup d'Etat militaire". "Soyons clair - ce n'était pas un coup d'état (en Egypte)", a assuré Mohamed ElBaradei. "Plus de 20 millions de personnes sont descendues dans la rue parce que cela ne pouvait pas continuer comme ça !". La justice égyptienne a entamé samedi les interrogatoires de plusieurs hauts dirigeants des Frères musulmans dans le cadre d'une enquête pour "incitation au meurtre" de manifestants. Selon l'agence de presse officielle Mena, la justice interrogeait Mehdi Akef, l'ancien Guide suprême de la confrérie musulmane, Khairat al-Chater, son actuel numéro 2 arrêté dans la nuit, Saad al-Katatni, chef du Parti de la liberté et de la justice, vitrine politique des Frères musulmans et Rached Bayoumi, adjoint du Guide. La justice a lancé 300 mandats d'arrêt, dont "incitation au meurtre", contre des membres de la confrérie et arrêté plusieurs de ses leaders. M. Morsi lui-même est toujours détenu par l'armée. Sur ce point, M. ElBaradei a estimé que les Frères musulmans devaient être intégrés à l'avenir politique de l'Egypte. "Les membres de la congrégation des Frères musulmans, le parti du président déchu Mohamed Morsi, ne devraient pas être traités en criminels" a-t-il affirmé, appelant "à l'intégration des Frères dans le processus de démocratisation". "Personne ne devrait être traduit en justice sans une raison convaincante. L'ancien président Morsi doit être traité avec dignité," a-t-il encore ajouté, considérant ces principes comme des "préalables à la réconciliation nationale". Elu en juin 2012, M. Morsi était accusé de tous les maux —administrations corrompues, dysfonctionnements économiques, tensions confessionnelles— par ses adversaires. En réaction à la destitution du président Morsi, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine (UA) a suspendu vendredi la participation de l'Egypte à l'organisation panafricaine. L'UA a pour politique de suspendre tout Etat-membre où se produit un "changement inconstitutionnel de pouvoir", généralement jusqu'au retour à l'ordre constitutionnel.