«L'unique responsable de ce gâchis avait détruit la vie de trois personnes.» Cette réflexion, d'un des personnages mystérieux se regardant dans le miroir, confère à l'énigme posée par Le meurtre de Sonia Zaid (*) - ce premier roman policier de Rahima Karim -, une singularité charmante. Je ne sais qui est vraiment Rahima Karim, sauf que c'est une Algérienne de 25 ou 26 ans, qu'elle écrit beaucoup, qu'elle aime et s'intéresse à son pays l'Algérie, et qu'elle vit en Espagne. Mais peu importe, une jeune femme qui se donne à la littérature, et spécialement au roman policier algérien pourrait peut-être paraître, dans nos traditions, comme une gageure et, plus encore à l'avantage de notre jeune auteur, comme «un cloutage de bec» au masculin pluriel qui ferait tranquillement un fonds de commerce de notre littérature générale. Quels sont les atouts de Rahima Karim, se demande-t-on, sûrement? En premier lieu, d'avoir eu, elle, toute l'attention intelligente d'un éditeur algérien qui ose professionnellement publier la première oeuvre d'une inconnue - et quel genre difficile! -, malgré toutes sortes de difficultés qui viennent s'ajouter aux difficultés inhérentes à l'édition tout court. Ensuite, cet auteur est bien servi par son intuition de femme. Sensible, elle a l'esprit d'observation et le sens de la conduite de l'enquête policière. Elle a aussi le sens de la construction des personnages qui peuplent le champ dramatique de son roman. De même qu'on peut lui reconnaître de la sincérité dans l'écriture, ici et là un peu de poésie dans les situations qui en demandent, de la pudeur dans l'exposé de l'argumentation et une certaine innocence surprenante, du reste, dans le dédale des explications de l'intrigue et des effets devant justifier tel développement de cette intrigue. Et puis, il faut noter une façon quelque peu innovante de présenter les chapitres et de numéroter les sections...Est-ce donc Agatha Christie en Algérie? Soyons modeste, gardons les proportions - n'abîmons pas un bouton de fleur. Respectons les promesses de ce début de printemps: failles et maladresses techniques, hésitations apparentes, longueurs et langueurs dues à trop de détails, dialogue bavard, rythme lent, allusions à la vie sociale algérienne et ses rapports avec l'administration, allusions plus ou moins réussies dans leur expression et plus ou moins pertinentes pour être ici utiles ou efficaces. L'histoire est simple, mais c'est débrouiller les faits essentiels qui composent le meurtre de Sonia Zaid qui n'est pas une partie de plaisir pour l'inspecteur Sami Sherif dont la réputation est faite depuis longtemps déjà. Et il vient justement de boucler une enquête «qui lui avait pris beaucoup d'efforts, c'était parce qu'il refusait la solution apparente.» Pourtant, «il continuait encore à éprouver un sentiment d'insatisfaction dont il n'arrivait pas à expliquer les raisons». Il n'arrive pas à se débarrasser de cette pensée qui semble mettre en doute «la solution logique» qui a conclu l'enquête. En proie à l'habitude, de nouveau, «malgré son expérience, l'inspecteur n'admettait ni le crime ni ses justifications. Ainsi, révolte et déception venaient toujours se mêler à la joie de la victoire pour provoquer en lui un horrible sentiment de malaise.» Les prémisses dramatiques du «polar» sont engagées. Voici l'inspecteur Sami Sherif, «le solitaire», «le fou du travail bien accompli»: «La trentaine passée, grand de taille, élégamment habillé. Son physique gardait encore les marques des exigences de l'école de police: une chevelure courte sans fantaisie, un visage bien rasé et une allure athlétique.» Le vieux commissaire Karim Barki lui confie une courte mission au sujet du meurtre de Sonia Zaid, après quoi, il pourrait prendre son congé comme prévu. Il se transporte sur les lieux du crime, un appartement, où «l'équipe du laboratoire terminait son travail». Il examine le corps de «la belle femme» dont le «visage n'exprimait aucune souffrance, aucune douleur». Ensuite, il interroge Mme Salima, la voisine de palier de la victime. Les yeux remplis de larmes, elle lui donne des détails sur Sonia Zaid, «une jeune fille gentille, altruiste, travailleuse», une assistante à l'université, vivant seule depuis la mort de sa mère, et «ne souffrait d'aucune maladie». Mais quand il fait son rapport au commissaire, celui-ci le charge immédiatement et en insistant, de la nouvelle enquête: Sonia Zaid, la victime, a été empoisonnée à la digitaline contenue dans «une des deux tasses [café] trouvées sur la table du salon». Il s'agit bien d'un meurtre, un meurtre prémédité. Sami Shérif doit donc renoncer à assister au mariage de sa soeur au risque de déclencher la colère de «son père qui refusait que son propre fils puisse être soumis à une autorité autre que la sienne». Et comble de poisse, il doit aussi accepter de travailler, lui le solitaire, avec l'inspecteur Kacem Fakhri, le petit protégé du chef, qui fait ses débuts et qui «est passionné par le monde du crime». L'enquête sur le crime commence, longue, pénible, incroyable, pleine de mystère: une énigme comme jamais auparavant «le solitaire» n'a eu à résoudre. Les hypothèses vont se succéder. Sonia avait-elle des parents? A qui ont servi les clés de l'appartement de la victime? Les suspects sont nombreux, sont interrogés avec soin et rigueur. Des noms sont avancés. Les membres de toute une famille, celle de Khan, sont interpellés. L'énigme reste entière. Jusqu'à la dernière page. Et dois-je ajouter - et encore ! Car le miracle n'est quand-même pas une monnaie courante. Oui, Rahima Karim, à mon sens, mérite amplement des encouragements.