«La question de savoir si je dérange doit être posée à ceux qui se sentent dérangés par la vérité. Ceux qui ont tenté d'acheter mon âme.» Une longue cavale en solo s'est achevée justement dans un aéroport parisien. Me Khellili, que l'on surnomme le fouineur, a fini par tenir sa parole. Celle de ne rendre son âme qu'au Tout-Puissant. A l'âge de 68 ans, cet avocat hors normes, dans un pays où tout est formaté, a laissé derrière lui d'innombrables orphelins des droits de l'Homme. Des opprimés qui désormais doivent attendre pour en trouver un autre de son envergure. Me Khellili est décédé jeudi après-midi, à son arrivée à l'aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle à Paris, en provenance d'Alger. Son épouse, qui ne l'a jamais quitté jusqu'à la dernière minute, a assisté impuissante à l'effondrement de son vieux lion sur le sol de l'aérogare à la suite d'un arrêt cardiaque. L'avocat s'est distingué, tout au long de son parcours, par la défense de nombreux opprimés et militants toutes tendances confondues. Des extrémistes démocrates aux extrémistes islamistes. En le voyant endosser sa robe noire pour les militants du RCD comme pour ceux du FIS son engagement dans la défense des droits à l'expression, à la justice, a caractérisé le juste milieu. Cet avocat, natif d'El-Harrach, a battu tous les records dans les désignations d'office pour défendre les dossiers délicats. Ceux des causes «perdues d'avance» que certains de ses confrères fuient souvent par appréhension ou tout simplement par manque de conviction. Car le droit pour lui, c'est d'abord la conviction. Les dossiers brûlants, il en a toujours fait une affaire personnelle. Sa stratégie est beaucoup plus gênante selon d'autres. Ses plaidoiries se fondent justement sur de sévères réquisitoires contre ce qu'il qualifiait de «pouvoir occulte». C'est peut-être pour cela que «je suis considéré comme l'avocat qui dérange», déclarait-il avec un air facétieux dans les colonnes de notre journal. Les tournants, il savait en prendre. Il avait d'abord occupé des postes de haut rang à la Dgsn. Commissaire principal, il a très vite basculé de l'autre côté. Dur métier que celui de policier! Un milieu qui ne pardonne pas. Les dilemmes sont de plus en plus pesants à chaque affaire qu'on traite. C'est ainsi, d'ailleurs, qu'il s'est vu face à un dossier compromettant qui l'a poussé à choisir entre sa fonction d'officier et être militant des droits de l'Homme. Les deux sont difficiles à concilier dans une société complexe qui se cherche au prix des larmes et du sang. «L'injustice m'a poussé à prendre des positions qui m'ont coûté des persécutions que je supporte depuis plus de 28 ans, pour le reste de ma vie.» «Tout le monde sait que je défends les persécutés et que je n'ai jamais eu de problème avec les gens justes», avait-il déclaré, ajoutant: «La question de savoir si je dérange doit être posée à ceux qui se sentent dérangés par la vérité (...) Ceux qui ont voulu acheter mon âme». Après avoir été séquestré à cause d'un dossier compromettant où étaient impliqués plusieurs nababs du pouvoir occulte, il avait décidé de quitter la police et de rejoindre la Ligue des droits de l'Homme «que j'ai quittée d'ailleurs parce qu'il y avait des gens qui n'avaient rien à voir avec les droits de l'Homme». Depuis, l'homme fait cavalier seul. Vraiment seul...Tous ces dossiers sont des dossiers qui fâchent. Mais Me Khellili était aussi l'avocat des causes qui lui ont valu l'étiquette de l'avocat du diable. On l'avait traité d'intégriste, appelé avocat du diable, de tous les noms, sauf de Mahmoud Khellili. Cela s'est produit après sa défense de l'ancien numéro 2 du FIS dissous, Ali Benhadj et de militants islamistes. Des étiquettes qu'il a toujours méprisées, puisqu'il avait défendu des militants démocrates et communistes, des policiers et des militaires. Plus politique que bâtonnier, plus polémiste que pragmatique, il avait le goût immodéré pour les médias qui ont donné une autre substance à ses affaires. Car il avait toujours cru que le plus difficile en justice et en droit en Algérie est d'abord une question politique. Après le dossier du FIS, vient un autre aussi épineux: celui des disparus. Puis le dossier Bilem, Français d'origine algérienne, soupçonné de tentative d'assassinat contre le général à la retraite Abderrahim, puis celui de Chalabi, le présumé terroriste expulsé de France vers l'Algérie, Mourad Ikhlef. Avec ce dernier dossier, celui des présumés terroristes traqués par les services étrangers à travers le monde et voulant, par son biais, négocier un retour vers le pays. Bref la carrière de Khellili a toujours donné l'impression qu'elle n'était qu'à son début. Les intimidations n'ont pas fait défaut, jusqu'au jour où son fils a été kidnappé puis relâché, il y a plus d'une année, par de «faux terroristes». Encore une fois, il n'avait pas cédé. Dans son modeste bureau une bonne partie de l'histoire politico-judiciaire de l'Algérie actuelle est entassée. Il a laissé derrière lui ses filles, deux brillantes avocates qui, sans aucun doute, prendront le relais. C'est héréditaire chez les Khellili.