«Quoi de plus clair quand le président d'une commission étatique déclare que les magistrats n'appliquent pas la loi volontairement?» (dixit le Pr Issad) Les déclarations du président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh), Farouk Ksentini, hier au forum d'El Moudjahid, ont surpris l'assistance. «La justice algérienne va très mal, nous ne voyons rien venir des recommandations du Pr.Issad et il n'y a rien de concret sur le terrain», a lâché Ksentini. Sans mâcher ses mots, le président de la Cncppdh enfonce le clou: «Il y a des textes clairs et des recommandations très précises dans le rapport Issad (rapport sur la réforme de la justice, ndlr), mais qui sont volontairement ignorés par les magistrats», avant de lâcher prise et de se résigner en déclarant notamment: «Je ne peux pas faire une guerre tout seul.» Une première dans les annales des commissions étatiques qui traînent le préjugé de caresser le pouvoir dans le sens du poil et qui excellent dans le tout-va-bien. Des propos aussi tranchants venant du premier responsable d'une commission rattachée à la présidence ne peuvent laisser indifférent ni être classés sur le registre de simples déclarations d'un militant emporté par la passion de la défense des droits de l'Homme. Le constat d'une justice mal au point étant déjà fait, il y a longtemps, on ne peut s'empêcher de poser la question: qu'est-ce qui se prépare alors? Un remous au niveau du ministère de la Justice? Ksentini précise qu'à travers ses déclarations, il ne vise aucunement le premier responsable du secteur dont il reconnaît d'ailleurs les compétences. L'interrogation trouvera probablement sa réponse dans ce qui se trame actuellement à propos de la crise de Kabylie. Le président de la Cnppdh a abordé le sujet dans le sillage de son réquisitoire contre la justice algérienne. «La détention préventive fait des ravages dans ce pays», déclare-t-il. Considérant que la crise de Kabylie est d'abord un problème politique, il déclare à propos des détenus du mouvement citoyen qu'«il est usé abusivement de la détention préventive.» Il signale, en outre, que le rapport de la commission Issad est clair et ne souffre aucune ambiguïté. «Personne ne peut douter de la probité et de la compétence de cet homme de droit.» Le mouvement citoyen n'a pas cessé de mettre en avant la condition sine qua non pour la reprise du dialogue: la libération inconditionnelle des 57 délégués en détention préventive. On croit savoir que cette libération interviendrait au courant du mois d'avril. Selon notre source, la présidence de la République rendrait public un communiqué appelant le mouvement citoyen au dialogue pour la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur (voir L'Expression du 29 mars). Le Pr Issad, présent au forum d'hier en tant qu'invité, s'est aligné sur les déclarations de Ksentini. Irrité par les questions des journalistes «trop tranchantes» il s'est interrogé en guise de réponse: «Quoi de plus clair quand le président d'une commission étatique déclare que les magistrats n'appliquent pas la loi?» Pour le mouvement citoyen, il note: «Non seulement le pouvoir ne tire rien du rapport, mais il met les délégués en prison. Abrika et les autres ne sont ni des aventuriers ni des délinquants. Il faut qu'ils sortent de prison, c'est le seul fait qui peut ramener l'ordre et tenter une médiation sérieuse.» Par ailleurs, Ksentini a abordé la question des disparus. Pour lui, la commission qu'il préside n'a pas de prérogatives pour enquêter sur ce problème épineux, mais c'est en fait un travail de réflexion soumis au Président de la République dans un rapport. On a suggéré que soit porté un traitement moral et social à la question, de séparer les vrais et les faux disparus, ensuite il y a le droit de savoir des familles. «Il convient de recourir aux méthodes modernes d'identification des cadavres pour permettre aux familles de faire leur deuil. Il existe en Algérie 3300 dépouilles enterrées sous x». Outre ces propositions, Ksentini a fait savoir que la Cnppdh a posé le problème de la responsabilité de l'Etat dans les différents cas de disparition, notant que le premier cas enregistré depuis le début de ce phénomène a été «l'Etat». «Après ce premier disparu, il en a résulté un chaos et une confusion ayant donné l'occasion à certains individus d'agir à leur guise. Je me refuse de croire que ce sont les institutions de la République qui sont derrière ces disparitions», a-t-il conclu. S'agissant de la guerre en Irak, la Cnppdh considère qu'elle constitue «une négation du droit international dans toute son acception». «C'est à une véritable agression contre le droit d'un pays de disposer de son territoire et de son destin, que nous assistons.» «C'est un véritable holocauste qui se prépare contre le peuple irakien», a encore précisé Ksentini.