L'attentat-suicide sera sans aucun doute l'arme redoutable et périlleuse à laquelle seront confrontés les soldats américains dans la capitale irakienne. Le Coran dans la main droite, la kalachnikov dans la main gauche, les imams de Bagdad, de Mossoul, de Bassora et des autres villes irakiennes ont marqué la journée du vendredi 28 mars : ils ont appelé solennellement à la guerre sainte, le djihad, et investi les opérations kamikazes d'une quasi-légitimation religieuse. La veille, le ton avait été donné par l'attentat-suicide perpétré à Najjaf par un sous-officier et qui a fait quatre morts parmi les soldats américains de la 3e Division d'infanterie des GI. Cet attentat avait coïncidé avec la fetwa décrétée par le chef de l'Association des oulémas irakiens, cheikh Abdelkrim El Moudaress, qui a appelé solennellement au djihad contre les troupes américaines. Le Djihad islamique palestinien, le grand spécialiste des opérations-suicide, avait, de son côté, affirmé que des volontaires avaient été envoyés en Irak pour perpétrer des attentats-suicide. Ces volontaires, qui font partie des Brigades d'El-Qods, branche armée radicale du Djihad islamique, sont estimés à plusieurs centaines, voire à plusieurs milliers. D'autres volontaires, venus des pays islamiques limitrophes, voire des pays du Maghreb, de l'Egypte, du Pakistan et du Yémen, sont venus grossir les rangs des moudjahidine irakiens. En tout, c'est à l'équivalent de 5 à 6000 kamikazes que les troupes américano-britanniques devront faire face. La guerre en Irak risque de prendre des tournures religieuses et c'est ce qui peut arriver de pire aux Américains. Car, à chaque nouvelle attaque US, répondront en écho de nouveaux attentats-suicide. Et lorsque ceux-ci sont investis de la légitimité religieuse et du soutien des oulémas, il faut s'attendre à deux choses: la première, à voir s'inscrire dans le temps cette guerre qu'on croyait courte; la deuxième, à voir les attentats-suicide s'accomplir au rythme régulier d'un métronome. Si les Etats-Unis ne font rien pour déplacer la guerre du registre religieux au registre politique, c'est qu'ils acceptent le défi et se lancent, de fait, dans une lutte dont ils ne maîtriseront pas l'enjeu. Car ne perdons pas de vue que Bagdad est entouré du vaste monde arabo-musulman, et que le temps, les hommes, le rythme de la vie et la culture ambiante, tous, sans exception, jouent en défaveur des Américains. Les érudits, imams et autres muftis musulmans ont émaillé le combat des Irakiens de légitimité religieuse. Mieux, tout acte qui mettrait en péril la vie des soldats américano-britanniques et qui pourrait contribuer à repousser les offensives ennemies est «béni, sacralisé» et son auteur «investi de l'auréole de martyr». Cette attitude de mourir - suicidé - dans un attentat ne fait, cependant, pas partie des traditions du djihad musulman. Même les groupes les plus extrémistes de la seconde moitié du XXe siècle, tel le Djihad islamique égyptien, la Djamaât el muslimin de Chukry, etc., n'en ont pas usé. Procédé extrême, né du désespoir, face à un ennemi plus fort, l'attentat-suicide islamiste s'inspire largement des techniques japonaises lors de la Seconde Guerre mondiale. Mis en pratique en Afghanistan, dans les années 80, et privilégié par les groupes djihadistes de l'Intifada palestinienne, l'attentat-suicide reste le moyen extrême, redoutable et redouté, personnel (il implique un engagement privé) et infaillible à la fois. Les Américains ont entendu parler des attentats-suicide. Désormais, il va falloir y faire face.