Le démembrement des groupes armés en Algérie a poussé les jeunes tentés par la radicalisation vers des zones du «djihad net ». Dans l'anonymat total, des jeunes islamistes algériens, qui ont pris ou ont essayé de prendre part au jihad en Irak, ont été relâchés de la prison de Serkadji, dans le cadre de la réconciliation nationale, en mars dernier. Le premier à être relâché est un natif de Bordj Bou Arreridj. «J'ai passé plusieurs mois à la frontière jordanienne avant d'être refoulé de force en Algérie, mais beaucoup d'Algériens ont eu plus de chance que moi et sont en ce moment en train de combattre avec leurs frères arabes enrôlés dans la résistance irakienne», nous avait-il dit à sa sortie de prison, le 4 mars 2006, lors de la libération des premiers islamistes de la prison algéroise. Cette volonté de la part des autorités de libérer des jeunes desperados impliqués dans des réseaux de la guérilla irakienne est contredit aujourd'hui par le vaste coup de filet qui a concerné une cinquantaine de jeunes «qui s'apprêtaient à rejoindre l'Irak via la Syrie ou la Jordanie», selon une source policière contactée à Alger. En effet, il y a quelques jours, les brigades Recherches et Intervention de la police, sur des indications fournies par les services spéciaux, ont opéré subrepticement des descentes ciblant des jeunes, dont la moyenne d'âge ne dépasse pas les 25 ans. Selon les chefs d'inculpation retenus contre ces jeunes, leur intention de s'enrôler dans la résistance irakienne. Recrutements par Net Ce à quoi répondent les avocats par le fait que leurs mandants ne se sont jamais rendus en Irak et que l'inculpation est fondée sur les intentions non sur des actes ou des faits concrets, et aussi par le fait que tout s'est effectué par Internet, les gestionnaires du site en question abusant de la foi et de l'ardeur de jeunes désoeuvrés pour en faire de la chair à canon. Il y a aussi le fait, disent-ils, que, à aucun moment, ces jeunes n'ont pensé devenir membres de l'organisation Al Qaîda. Des sources policières affirment que c'est en contrôlant des sites Internet djihadistes que les «services» ont pu intercepter les jeunes, tentés par l'aventure irakienne. Alors que d'autres inculpés ont été «donnés» par leurs comparses, qui sont passés aux aveux devant le juge d'instruction. Beaucoup pensent que les filières algériennes en Irak ont commencé avec l'invasion américaine. Il est vrai que certains sont partis après la chute de Baghdad, c'est- à-dire après le 9 avril 2003, mais beaucoup ont été là bien avant. Selon le grand spécialiste égyptien des «jamaâte islamistes», Diâ Rachwane, consultant sécuritaire et journaliste à Al Ahram, l'entrée des combattants arabes en Irak s'est effectuée avant l'invasion américaine, et plusieurs centaines de combattants étaient sur le terrain avant la chute du régime de Saddam, comme par exemple le groupe Ansar el-islam auquel appartenait Abou Mossaâb Al-Zarkaoui avant de rejoidre Al Qaîda. Les combattants des légions arabes sont arrivés, certains sur injonction de la direction d'Al Qaîda, certains de leur propre initiative qui pousse à épouser toutes les causes des frères dans l'islam, et ce sont eux qui ont fait face aux Américains lors de la prise de l'aéroport de Baghdad, pour être par la suite pris dans des feux des GI's. On s'en souvient aussi, l'ambassade irakienne à Alger a été assaillie par des Algériens qui se portaient volontaires pour participer à la guerre contre les Etats-Unis. Comme le soulignait alors le chargé de communication de la représentation irakienne Ali Moussa Mahmud, «ces jeunes ne font que témoigner leur soutien à la mère de la civilisation arabo-musulmane menacée par la croisade de George Bush». «Mourir à Baghdad» ou vivre sous «l'impérialisme américain» , le choix est fait. Ils étaient prêts au sacrifice. Le djihad constituait une arme imparable. Tarek Aziz, un des poids lourds du régime irakien, affirmait que «les attentats suicide sont une riposte à ces pluies de missiles». Plus de 5000 volontaires étrangers pour le combat contre «l'agression américaine» étaient déjà en Irak. D'autres continuaient d'arriver.Le soutien de ces militants ne relève pas du symbolique. Combattants ou soutiens logistiques, ils viennent s'opposer à l'hégémonie américaine, dopant ainsi les sentiments nationaux et religieux. «Cette guerre est une agression contre tous les musulmans», clamait Naji Sabri, le ministre irakien des Affaires étrangères. Saddam accompli une prière, lève les deux mains pour réclamer l'aide d'Allah et apporte un rajout au drapeau irakien, qui sera émaillé d'un Allah Akbar qui a fait le tour du monde et a fini par convaincre les jeunes djihadistes de suivre Saddam, accusé peu auparavant d'être un apostat baâthiste . Fustigeant les «lâches et hypocrites» pays arabes alliés de Washington, les jeunes Algériens de la rue appellent à la mobilisation de «tous les frères arabes». Le Coran dans la main droite, la kalachnikov dans la main gauche, les imams de Baghdad, de Mossoul, de Bassora et des autres villes irakiennes ont marqué la journée du vendredi 28 mars, soit quelques jours après l'invasion: ils ont appelé solennellement à la guerre sainte, le djihad, et investi les opérations kamikazes d'une quasi-légitimation religieuse. D'autres volontaires, venus des pays islamiques limitrophes, et même des pays du Maghreb, de l'Egypte, du Pakistan et du Yémen, sont venus grossir les rangs des moudjahidine irakiens. En tout, c'est l'équivalent de 5000 à 6000 kamikazes que les troupes américano-britanniques avaient en face, avec les pertes subies à ce jour (près de 2600 GI's tués depuis lors). Les services de renseignements algériens avaient estimé en fin 2004 le nombre d'Algériens présents dans la résistance irakienne ou aux frontières avec la Syrie et la Jordanie, dans l'attente de passer en Mésopotamie, à près de 380 personnes. La télévision irakienne montrait il n'y a pas très longtemps des images de combattants arabes capturés dans le feu de l'action. Beaucoup se sont présentés alors comme étant des Algériens venus grossir les rangs de la résistance irakienne. La Syrie a été présentée comme le pays facilitateur de l'accès vers l'Irak. Mais on sait aussi que souvent la télévision officielle irakienne fait le jeu des Américains pour «mouiller» Damas et l'impliquer encore plus dans des actions qualifiées de «terroristes». En fait, beaucoup d'Algériens ont eu un parcours atypique pour arriver au djihad, comme c'est le cas pour Laid Saidi, un Algérien de 43 ans qui a rejoint le ghota des leaders du djihad à partir de la Tanzanie. Accusé d'être un élément d'Al Qaîda, il a été kidnappé par les autorités tanzaniennes, remis à celles du Malawi, avant d'atterrir entre les mains des Américains qui l'ont séquestré et torturé dans une prison secrète en Afghanistan durant deux années, avant de le relâcher. Nombreuses questions Le démembrement des groupes armés en Algérie a poussé les jeunes tentés par la radicalisation vers des zones du «djihad net», c'est-à-dire vers des endroits du monde arabe et musulman où la notion du djihad est portée contre un ennemi dont la «non-islamité» ne fait pas de doute, comme c'est le cas avec le type de guerre qui se déroule en Irak. Assiste-t-on dès lors à un redéploiement des djihadistes algériens hors de leur pays? La relance des filières algériennes via la Syrie pour l'Irak ne risque-t-elle pas de se retourner contre l'Algérie même comme ce fut le cas avec la guerre en Afghanistan? Qu'est-ce qui fait que des jeunes Algériens adoptent cette idée extrême d'aller mourir loin de leur pays dans des attentats-suicide qui seraient la fin d'une malvie? Autant de questions qui sonneront encore longtemps aux oreilles comme une rupture effrayante, une démission de la vie pour prendre corps avec la mort, ou, pour le moins, pour une aventure d'où nul ne pense revenir vivant.