Aujourd'hui, la Kabylie commémorera un double anniversaire : le Printemps amazigh et le Printemps noir. Le premier, n'en déplaise à beaucoup, reste le déclenchement du processus de démocratisation. Un processus, certes, long, complexe et semé pour le moins d'embûches. Or le second a permis au concept de citoyenneté de réoccuper la scène nationale. Loin dans leurs démarches mais, si proches dans leurs objectifs avoués notamment celui de «la parole citoyenne retrouvée!». On a gloussé longuement dans le passé sur le MCB et sur tamazight. De savants «douctours» ont même trouvé des affiliations aux populations amazighes, du côté de la province de Hymette et de la reine de Saba. Ils ont juste oublié de «prendre l'avis de Salomon!» et traité la langue tamazight, cette langue aussi vieille que l'Afrique du Nord... d'invention, de création de missionnaires chrétiens. Le combat tout pacifique du MCB a finalement débouché, quelques décennies plus tard, sur une demi- connaissance de cette langue qui ne peut être que nationale car, celle-là au moins, est née dans le pays ! On aimerait ajouter, en parodiant cette publicité des années 1980; «On peut lui faire confiance, elle est née chez nous!». Cela dit sans vouloir aucunement porter ombrage aux autres langues, toutes dignes de respect. Plus tard est apparu le mouvement des ârchs. Un mouvement né dans la douleur, voulu comme un «garde-fou», pour canaliser l'ire d'une jeunesse sortie dans la rue contre ce qu'ils ont nommé: la hogra! Ces jeunes, dans leur immense colère, ont affronté les mains nues d'autres Algériens portant l'uniforme et les armes de la République. Le sang a coulé: des morts, des blessés, des handicapés à vie ont émaillé les deux années d'une lutte voulue pourtant pacifique. Au plus fort de la tourmente, les ârchs ont réfléchi à une plate-forme, dans le but que «plus jamais l'horreur ne se reproduirait». En leur qualité de citoyens, ils avaient voulu aller à Alger, afin de déposer chez le premier Algérien, un document conçu par des Algériens. Le fait, nouveau par la démarche adoptée, a sérieusement ébranlé les services de sécurité. La manifestation monstre tourne rapidement à la tragédie: celle du 14 juin. Un comportement aussi incompréhensible de la part des autorités, un comportement qui a failli porter un coup fatal aux principes pacifiques du mouvement. Deux ans après et des avancées et des avanies, où en est le mouvement? Officiellement, il est toujours là, se réunit souvent, même s'il a enregistré des «vides». Plusieurs coordinations ont gelé leurs activités, d'autres se sont carrément mises en veilleuse. La plupart des coordinations enregistrent dans leurs rangs, des délégués pour le moins non représentatifs, d'où cette tendance de la population à observer un wait and see. Ajouter à cela, les tentatives de caporalisation du mouvement par des forces politiques. Cela donne une certaine image du mouvement et explique son recul au sein de la population. Pour qu'un mouvement de cette trempe marque un tel recul, il faut que les «erreurs» soient importantes ! Né pour essayer de canaliser la colère et éviter, comme cela se disait à l'époque, un bain de sang, les ârchs ont réussi au départ à fédérer en leur sein toutes les forces politiques et sociales de la région. L'organisation de la grandiose marche noire à Tizi Ouzou et celle du 14 juin à Alger, ont été la preuve de leur ancrage social. La population confiante suivait réellement les mots d'ordre du mouvement. Les délégués, réels porte-parole de la base, ne tardèrent pas à être noyés par des délégués autoproclamés. Les «dérives» ajoutées aux appétits partisans de certaines forces politiques ont commencé à faire leur effet. Des «délégués» autoproclamés se mirent à se conduire de façon désastreuse. Ils allèrent même jusqu'à manquer totalement de respect aux citoyens. Où on était avec eux ou contre eux, de jeunes gens «endoctrinés» se constituèrent en une sorte de «force parallèle». Des «menaces» apparaissent, les coordinations les plus représentatives commencent à se poser des questions. Mais devant le risque d'éclatement du mouvement, tout le monde fit le dos rond, au détriment des principes. Finalement, le mouvement s'effiloche petit à petit, au grand dam des délégués véritables. Des coordinations réagissent, ce fut par exemple le cas de celle de Bouzeguène. Les responsables de cette structure communale des ârchs, n'y allèrent pas par quatre chemins, ils demandent un peu brutalement même, que les délégués retournent à la base pour renouveler leur mandat. Devant le peu d'empressement de beaucoup, Bouzeguène se tait, et plusieurs de ses délégués observèrent depuis un certain recul. L'un d'eux dira lors d'une rencontre: «Quand je me suis aperçu que la population adoptait le wait and see, je me suis retiré chez moi! la mort dans l'âme...» C'est pratiquement le même scénario dans la majorité des communes. Ainsi, le sud de la wilaya n'est pratiquement pas représenté au sein de la Cadc. Des délégués se disent représentants de telle ou telle commune, mais la réalité est qu'ils n'ont jamais été désignés par la population à laquelle ils ne rendent d'ailleurs aucun comptes. On doit à la vérité de dire que si cet état de fait perdure, les ârchs se conjugueront au passé. Certes, des groupes d'émeutiers existent et sont capables de faire du grabuge, mais sans plus. C'est d'ailleurs ce qui a poussé les ârchs, lors de leur réunion à Beni Douala, le 10 avril, à axer leur réflexion sur l'urgente nécessité de se pencher sur cette lancinante question de représentativité. En attendant, il s'agit pour les ârchs de réussir les manifestations du 20 Avril. Certes, ils ne seront pas seuls sur le terrain pour galvaniser les foules et inciter les populations à marcher. Comme il y a le problème encore réel de la reconnaissance, entière, totale, franche et sincère de tamazight. Car, il faut le dire, cantonner cette langue à la seule case de «langue nationale», paraît ne pas suffire pour son réel développement. Il semble que seule son officialisation est à même de pousser l'Etat à débloquer les moyens idoines à son développement. D'autres questions et non des moindres, restent encore pendantes: ce sont toutes les questions liées à la citoyenneté véritable qui sont le lit et le socle de la démocratie. Donc, ce 20 avril, il y aura certainement du monde lors des marches, mais faut-il conclure par là que le mouvement des ârchs est sorti d'affaire? Là est la question et seules les semaines à venir nous apporteront des réponses.