En cet été 2004, sur toutes les plages d´Algérie, les ados exhibent des tatouages sur différentes parties du corps, comme un trophée ou comme un signe de reconnaissance, au même titre que les marques de chaussures ou de tee-shirts, Nike ou Adidas, entre autres. Il existe toute une mystique et une symbolique des plages, propices au culte du corps, de la plasticité, de la pudique et antique nudité, autant d´atouts mis en exergue par le bronzage et les avantages de l´exposition au soleil et au sel marin. D´ailleurs pour tous ces ados, tatouage se dit tattooes, en anglais s´il vous plaît, et c´est dans les revues de mode qu´ils puisent leurs modèles. Ces tattooes ne sont pas du tout douloureux, puisqu´ils se pratiquent à partir d´un papier collant qu´on applique sur le corps comme les patchs anti-tabac, après l´avoir imbibé d´un peu d´eau. C´est le tatouage soft, pourrait-on dire. Ce ne fut pas le cas, jadis, où la technique consistait à introduire en profondeur dans le derme ou sous l´épiderme une épine ou une aiguille pour laisser, d´une manière indélébile, des traces sur la peau, en utilisant différentes matières colorantes: le henné, le khôl, l´indigo, le safran, la poudre d´antimoine, voire les sucs de plantes, le noir de fumée, les os calcinés ou le charbon de bois pulvérisé. L´encre de Chine aussi. Dans les différentes régions d´Algérie, à quelques variantes près, nos grands-mères adoraient les tatouages, les aouchem si vous préférez, auxquels était attaché tout un rite magique, prophylactique, voire aphrodisiaque. C´était aussi une décoration corporelle que les femmes exhibaient comme un bijou. Le fait que le tatouage résulte d´une mutilation, lui conférait également une connotation érotique. Il ajoutait quelque chose à la séduction de la femme tout en ayant un rapport avec la fécondité féminine. L´importance du tatouage est si évidente dans notre histoire culturelle, qu´un groupe d´artistes a créé en 1967, un mouvement artistique dénommé Aouchem, autour de Denis Martinez, Choukri Mesli, Mohamed Khadda, M´hamed Issiakhem, Ali Silem. Son but était de redonner sa place à tout l´héritage méditerranéen, arabe, berbère et africain de l´Algérie. Puisant goulûment dans la calligraphie arabe, les signes du tifinagh, les losanges et les formes géométriques des tapis et de la poterie, l´architecture du Mzab, les formes hispano-mauresques de notre patrimoine, les lignes végétales de l´olivier, du palmier, du figuier, des artistes comme Denis Martinez réalisaient des fresques et des tableaux d´une rare beauté. Quel rapport y a-t-il entre ces artistes émérites et les ados qui exhibent des tattooes sur les plages en s´inspirant des stars de la chanson et de l´écran? Leurs modèles s´appellent Jessica Biel, dont une colombe, symbole de la paix, orne l´aine droite, ou Matthieu (du groupe Linkup), qui s´est offert des idéogrammes chinois sur l´épaule gauche ou encore Orlando Bloom, qui s´est fait tatouer un soleil sur le bas ventre. Alyssa Milano a, dit-on, joué la carte du mysticisme avec un ouroboros - un serpent qui se mord la queue - sur le poignet droit. Quant à l´inévitable Britney Spears, elle s´est fait faire une fleur au niveau de l´aine. Par ailleurs, les jeux Olympiques d´Athènes ont été l´occasion, pour les trois milliards de téléspectateurs, d´admirer des tatouages sur les corps de ces éphèbes modernes que sont les athlètes. Ces exemples illustres ont donné plein d´idées à nos ados sur les plages.