Quel rapport y a-t-il entre la destruction des mines antipersonnel et la libération de Ghoul Hafnaoui ? Aucun apparemment. Et pourtant, c´est en allant à Hassi Bahbah, dans la wilaya de Djelfa, présider la cérémonie de destruction des mines antipersonnel, que le président de la République aurait demandé (le conditionnel est de rigueur puisque l´information n´a pas été annoncée officiellement) qu´on lui présente une demande de grâce pour le correspondant local incarcéré pour ses écrits. Ce qui est un comble dans un pays qui se réclame de la liberté d´expression et dont le chef de l´Etat a avoué publiquement son admiration pour Thomas Jefferson. On se demande pourtant aujourd´hui si la mise à l´ombre de Ghoul ne préparait pas celle de Mohamed Benchicou, tant il est vrai qu´en Algérie, il est plus facile d´emprisonner un correspondant local que le directeur d´un grand quotidien comme Le Matin, sans compter que les potentats locaux se comportent comme de petits tzarévitchs dans leur circonscription. Ils se sont taillé des fiefs sur mesure. Heureusement d´ailleurs que des mouvements périodiques opérés par le président viennent bouleverser les rapports de force locaux. Mais les petites mafias savent y faire. Elles reconstituent en un tour de main, parfois en deux coups de cuillère à pot, les éléments du réseau, juste le temps de jauger les intentions du nouvel homme fort désigné et sa capacité à accepter cadeaux et petits privilèges. L´arrestation de Ghoul, elle-même, avait été précédée par celle de Hacène Bouras à El Bayadh. Les deux hommes partagent la même double casquette: celle d´être journalistes et militants des droits de l´homme, plus précisément responsable local de la Laddh de Me Ali Yahia Abdenour. Par conséquent, on se demande quelle perche va saisir le président pour libérer Mohamed Benchicou. Quelle cérémonie sera organisée dans la wilaya déléguée d´El Harrach pour lui donner motif à gracier le prisonnier le plus célèbre d´Algérie? Y a-t-il un stock de mines antipersonnel du côté de Baulieu ou de Oued Smar? Quant au ministre de la Communication, M.Boudjemaâ Haïchour, il n´a pas cessé, depuis le mois de juin, d´exprimer son regret de voir des journalistes en cellule. Il avait lui-même parlé d´apaisement et d´un nouveau paysage médiatique. Ses efforts pour réorganiser le secteur et jeter des passerelles entre les journaux et les pouvoirs publics se sont heurtées depuis sa nomination à ce mur d´incompréhension créé par l´incarcération des journalistes. Le problème, c´est que tous ces appels du pied ont beaucoup plus concerné les éditeurs que les journalistes et assimilés qui constituent tout de même le gros de la corporation. C´est-à-dire ses troupes, ses fantassins. Sa chair à canon. Ses plumitifs. Malheureusement, ils ne sont pas suffisamment protégés par le cadre législatif actuel. Un journaliste peut à tout moment être jeté à la rue sans que personne ne bouge le petit doigt pour le sortir du bourbier ou du ruisseau. Les garde-fous n´existent pas, ni le filet social. C´est au bon vouloir du chef. Quant aux apparatchiks du ministère, il n´y a rien à attendre d´eux. Il y a longtemps qu´ils ont fait la preuve de leur insouciance. Reste l´image de l´Algérie à l´étranger : un journaliste ou un militant des droits de l´homme à l´ombre ce n´est pas ce qu´il y a de mieux pour valoriser cette image. Loin s´en faut. De Gaulle avait dit à propos de Jean-Paul Sartre: «On n´arrête pas Voltaire.» Mais qui connaît Voltaire au pays de Slimane Azem et d´Apulée? Les idées de Benchicou étaient virulentes et enflammées. Il eût fallu, pour ses adversaires politiques, avoir autant de talent. Mais ils n´en avaient pas. Alors ils ont choisi la solution de facilité : la violence d´Etat.