Il y a des hommes politiques qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs intérêts et il y a d´autres qui ont la prescience des hommes sincères et désintéressés. Cette réflexion m´est venue à l´occasion de la clôture du Festival du cinéma arabe, de la Fête nationale et de la lecture d´un article de presse sur la condition de certains artistes arabes. A la sortie du visionnage du film du regretté Mustapha Badie. La nuit a peur du soleil, un collègue de travail allait par la suite devenir un ami, cherchant sans doute à me sonder, me demanda ce que je pensais du film. Je lui fis part de mon admiration pour l´excellence de la direction d´acteurs, de la perfection technique et surtout de la restitution de l´ambiance, mais je déplorais en même temps la lourdeur et le manque de rythme. Evidemment, je rendais en même temps hommage à cet artiste de talent venu de la radio qui avait comme qualité première de n´avoir jamais travaillé avec une équipe technique étrangère, contrairement à d´autres qui ne pouvaient s´en passer. Badie était demeuré fidèle à la même équipe algérienne formée du temps de la RTF et qui l´aida à confectionner des chefs-d´oeuvre comme la Grande maison et l´Incendie, mon collègue ne regarda et me dit sans hésiter que ce film, malgré ses longueurs, avait une grande qualité, il était d´une grande perspicacité: c´était le premier film à montrer clairement l´alliance de la bourgeoisie avec ceux qui prenaient le pouvoir politique. «Tu verras, me dit mon collègue, dans quelques années, l´Algérie ressemblera à l´Egypte...» Il ne me dit pas plus car il était très prudent de nature et très réservé de caractère. Je ne pouvais croire mes oreilles, comme j´avais des amis d´enfance qui avaient fait un stage dans une usine de textiles Kafr Edawar, dans la banlieue du Caire, et que ces amis m´ont parlé de la pauvreté du peuple égyptien et de la corruption qui gangrenait l´administration. Je pensais à l´époque que le peuple algérien tout juste sorti d´une longue lutte de libération, supprimerait pachas et caïds et que le bakchich serait une chose inconnue sur cette terre arrosée du sang de nos martyrs. Hélas, mon ami et collègue avait raison: l´Egypte avait seulement quelques longueurs d´avance sur mon pays. Après avoir un soi-disant régime socialiste et nationaliste, elle eut droit à un pouvoir de renoncement de révisionnisme et d´ouverture vers le capital occidental, avant de sombrer dans un islamisme rampant. L´Algérie eut droit quelques années après à cette même succession de régimes avec quelques différences cependant: elle eut une décennie rouge et elle n´avait ni El-Azhar ni de danseuses du ventre repenties. Devant les attaques que subit actuellement l´excellent Adel Imam de la part des forces de la régression qui lui reprochent d´avoir joué le rôle d´un prêtre chrétien, une inquiétude me saisit quant à l´avenir de l´art dans les pays dont les régimes tournent le dos à la raison: qu´auraient fait ces censeurs d´un nouveau genre s´ils existaient au temps où le théâtre était interdit aux femmes, quand les comédiens hommes étaient obligés de se grimer et de parler d´une noix nasillarde pour exprimer la féminité.