«Fais ce que ton voisin fait, ou déplace l´entrée de ta maison.» Proverbe kabyle Beur TV fait partie de ces télévisions communautaires françaises qui existent et résistent à la mondialisation audiovisuelle. Dépassée par les événements politiques et culturelles, elle subsiste en diffusant des programmes bas de gamme, faute d´argent. Elle ne produit plus d´émissions de qualité, elle tente de remplir sa grille avec tout ce qui peut lui tomber sous la main, payée de façon gracieuse à coups de sponsors. Des clips réalisés à la pelle par Youcef Goucem, qui a mis en image tous les chanteurs amateurs de la Kabylie, avec des danseuses blondes qui ne parlent pas un mot de kabyle, une scène de danse improvisée sur Yemma Gouraya et des chanteurs qui ont du talent, mais qui n´hésitent pas à chanter avec des jeans achetés au marché hebdomadaire d´Azazga. Une technique de clips très conventionnelle qui consiste à mettre en scène le même personnage avec plusieurs tenues et dans plusieurs décors naturels de la Kabylie. Chaque soir, Beur TV nous abreuve de ses clips kabyles amateurs, qui contrastent avec les clips professionnels de Rotana, très sophistiqués avec ces blondes aux corps artificiels et ces décors tournés à Malte ou en Grèce. Mais la semaine dernière, Beur TV a voulu coller à l´actualité en diffusant un documentaire sur le terrorisme en Kabylie, réalisé par un certain Karim Saïd Hadj. Que dire de ce doc filmé à la manière d´un reportage, si ce n´est que, malgré la bonne qualité des intervenants, le film est un ratage monumental, très mal structuré, mal monté et surtout techniquement faible. Mais l´important pour Beur TV, ce n´est pas la qualité de l´oeuvre, mais le message qu´elle transmet. Surtout à l´approche de l´élection présidentielle. Le documentaire tente de faire une rétrospective historique sur la situation sécuritaire en Kabylie, celle-ci considérée lors des premières violences comme étant la Suisse de l´Algérie, avec comme premier attentat celui commis en 1994 au village d´Igoujdal. En montrant des séquences The Hidden War, réalisé par un Anglais, sur les maquis de l´AIS au début des années 93, Saïd Hadj ne dispose pas, pour son documentaire, d´images d´archives, il n´hésite pas à le meubler avec des images de cassettes VHS, mettant de côté la qualité de l´image et du son. D´ailleurs, les interviews avec les principaux personnages de son documentaire, sont réalisées en micro off, sans cravate ou perche, enregistrant ainsi des sons avoisinants. Le plus agaçant est l´enregistrement sonore réalisé avec Lahlou près de l´université de Tizi Ouzou, avec en prime, le son des klaxons des bus. Et pourtant, tous les grands acteurs de la Kabylie résistante, ont accepté de donner leur témoignage sur la situation douloureuse de cette belle région qu´est la Kabylie: Nouredine Aït Hamouda, Abdenour Abdesslam, Youcef Merahi, le journaliste Aomar Mohellebi et surtout Idir Bentounès qui a témoigné avec sincérité du malaise psychologique des journalistes au commencement des assassinats ciblés. Le résultat est malheureusement effarant: un doc raté sur le plan technique et structurel, puisqu´il s´achève subitement et sans donner d´analyse sur la situation d´insécurité générale en 2004. Un doc qui n´a pas sa place dans une télévision généraliste. La Kabylie méritait mieux que ce bide. Elle méritait un réalisateur «professionnel» qui prenne à bout de bras, ce sujet tant cher aux Kabyles en particulier, et aux Algériens, en général.