Tout le monde avait crié au scandale. Le cri était profond et répercuté sur toutes les fréquences de la douleur d´une personne frustrée. A côté, la fameuse tirade de L´Avare passerait pour un poème extatique. C´est que la perte avait été cruelle! Du jour au lendemain, le ciel s´était obscurci: l´écran était devenu quasiment blanc comme lorsque le film, trop tiré, se rompt dans l´appareil de projection. Tous les perfusés, tous les drogués des spectacles transmis par les chaînes satellitaires étaient devenus inconsolables! Déjà, ils avaient perdu Canal+ et ses chaînes annexées, puis c´est TPS et ses associés qui s´évanouissent sur l´écran azuré des nuits blanches! Il ne restait aux détracteurs de l´Unique que Arte et TV5 pour se rattacher encore à des programmes dignes d´intérêt, sans compter, bien sûr les chaînes d´information continue. Le cordon ombilical n´est pas tout à fait rompu! Pourtant, à regarder de près on ne perd pas au change! Avant, devant la pléthore des programmes qui se présentent, le plus difficile était de choisir le spectacle qui puisse changer l´ordinaire d´un citoyen parqué dans une cité dortoir, en butte au stress des difficultés quotidiennes. Devant la variété des choix, le téléspectateur était tenté surtout de vouloir tout voir, de crainte de rater une séquence désopilante. Ce qui le frustrait davantage et le rendrait malheureux devant ses interlocuteurs éventuels qui lui narreraient des anecdotes croustillantes qui lui seraient passées sous le nez. Et le spectateur qui se morfondait d´ennui devant les programmes soporifiques de l´Unique, s´était, dans un premier temps, spécialisé dans l´installation d´antennes UHF afin de capter, par temps idéal, bien sûr, des chaînes quand l´anticyclone des Açores voulait bien s´installer dans la région pour repousser les nuages au nord de Poitiers. Et il n´était pas porté sur la qualité à l´époque! Les images avec des grains, le signal évanescent et fantomatique qui apparaissait et repartait capricieusement. Bref! la monotonie était rompue! Son oeil restait continuellement fixé sur la stratosphère, guettant le moindre cumulus et priant que la sécheresse dure le plus longtemps possible. La météo était devenue une obsession. Jamais il n´aurait pensé que pour échapper à la langue de bois de l´Unique, il soit amené à devenir aussi inquiet qu´un paysan de l´état du ciel: une véritable obsession! Et puis quand les premières paraboles commencèrent à refléter le soleil persistant, il investit toutes ses économies dans l´achat de ce disque solaire qui allait lui apporter toutes les lumières de là-bas! Plus de J-T contraignant, plus de programmes censurés! Enfin, un programme à la hauteur de ses ambitions et de ses désirs: maintenant, il pouvait presque se sentir l´égal de ses cousins qui vivaient là-bas! Il pouvait enfin avoir les mêmes sensations qu´eux. Il pouvait enfin discuter de quelque chose avec eux. Bien sûr, eux avaient toujours le métro, le TGV, l´hôpital performant, le salaire en euros en plus, mais lui, avait enfin, la parabole. C´était un acquis! Et il était devenu un virtuose de la zapette: chaque soir, il balayait de sa main quelques fuseaux horaires, remontant et descendant les méridiens avec une aisance déconcertante. Mais, hélas, tout a une fin. Un jour, la rumeur parut et bientôt, elle se concrétisa: le ciel se couvrit et les nuages du mercantilisme vinrent obscurcir son horizon. Désormais, il prendra deux chaînes par jour comme il prend deux cachets pour survivre.