Présent à la 9e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, Mehdi Hmili, jeune réalisateur et poète tunisien au regard affuté d´un intello, cache derrière ses grosses lunettes noires un personnage sensible doué d´un sentiment artistique à part entière. Dans Li-la -jeu de mots entre le prénom Lila et lit-là-il nous est servi une belle proposition cinématographique sciemment décalée, en noir et blanc qui, passé le côté romantique du silence, parvient à placer le décor d´une géographie sentimentale en déroute. Celle des chemins tortueux pour arriver au coeur du bien-aimé pour enfin se positionner comme acteur dans la vie et pas seulement sur scène. Une belle délivrance qui ne s´est pas faite sans douleur, confie le cinéaste... L´Expression: Vous venez de projeter votre film Li-la qui est assez complexe et en noir et blanc, un choix esthétique délibéré car vous étiez, on peut le dire, avant de le tourner, en pleine confusion ou tourmente des sentiments. Un mot là-dessus? Mehdi Hmili: C´est un film qui a été très dur à finir, surtout à tourner. Il parle de deux histoires d´amour. La première est entre un père et un fils, et la seconde entre Malek, le poète raté et sa femme la comédienne de théâtre. C´est un film qui m´a pris deux ans de travail, dus aux voyages entre Paris, Tunis et le montage, d´autant plus qu´il relatait ma vie intime. C´est un film très personnel. Je l´assume et le revendique déjà comme tel. J´avoue que ce film a eu un impact sur ma relation avec ma femme, la coscénariste et protagoniste du film. Il a été une thérapie pour nous car notre vie de couple, d´artistes surtout, à cette époque-là était vraiment catastrophique. Je suis parti à Tunis, j´ai tout laissé à Paris. Je suis allé à Tunis, sachant que j´étais interdit par le pouvoir à cause de mes écrits en tunisien. J´ai écrit en fait des poèmes en tunisien, la langue du peuple. Mes poésies je les publie sur Facebook. Ils étaient très bien suivis, pendant la dictature. A un moment donné lorsqu´on m´a empêché d´aller tourner, j´ai fait une petite dépression puis on a tourné une partie à Paris. On s´est retrouvé planté, comme ça, pendant trois ou quatre mois, sans autorisation de ramener l´équipe de tournage et pouvoir filmer. Alors, je suis parti tout seul et me suis installé à Tunis. C´était vraiment stupide de partir comme ça, sans prévenir. Mon téléphone était sous écoute. J´étais vraiment très mal. Je ne pouvais pas dire au pouvoir que je n´allais plus recommencer et que je suis cinéaste avant tout, c´est mon métier et que ce n´est pas pareil. Moufida, ma femme m´a rejoint deux mois après, et on a pu finir quand même le film là-bas. C´est une expérience très étrange, une expérience de vie. Li-La a été pour moi une véritable renaissance. Justement, parlant de renaissance, où en est aujourd´hui la Tunisie après la Révolution du jasmin? La Tunisie va très bien. Enfin, il y a des moments qui sont très durs. On est très loin de la démocratie. Cela nous demandera beaucoup de travail encore, je pense cinq ou six ans pour qu´on puisse enfin parler de la Tunisie comme un pays démocratique, mais c´est un peuple qui a beaucoup de courage. Vraiment, dégager une dictature pareille, moi aussi j´étais surpris. Je n´y croyais plus. J´étais fatigué de ce qui se passe, mais là, c´est magique, ce qui se passe en Tunisie. C´est magnifique. Cinématographiquement parlant, l´image en Tunisie se libère-t-elle aussi? Qu´en est-il de cette reconstruction de la société tunisienne par la caméra? Le cinéma tunisien, en majeure partie, les courts métrages aux dernières sessions des Journées cinématographiques de Carthage, était florissant. En 2010, on avait fait 80 courts métrages, de très bons films. Et ça se voyait à l´écran, car ces films ont eu un bon écho chez les critiques. Il y a une jeunesse comme en Algérie qui est en train de faire un très bon parcours. L´Etat essaie maintenant de se racheter. Il a été installé une commission d´aide pour le premier film comme en France, les cinéastes tunisiens veulent en faire un CNC (Centre national de la cinématographie, Ndlr). On est un peu sceptiques, car les gens qui vont tenir les commissions, apparemment, ce sont les mêmes têtes. Ce sont ces mêmes producteurs qui profitaient du pouvoir de Ben Ali et qui ne veulent pas lâcher le morceau, car il y a de l´argent derrière. Ils ne veulent pas lâcher l´affaire. La différence entre eux et nous, est que nous, on met de l´argent de nos poches pour faire nos films et qu´eux, en prennent pour le mettre dans leurs poches. Je pense que cette jeunesse-là qui a fait la révolution, qui est sortie dans la rue, qui a donné des martyrs, c´est elle qui vaincra à la fin. C´est elle qui aura le mot de la fin? C´est évident. Nous avons tout, le courage, la jeunesse, la liberté et la technique, la vidéo qui nous libère énormément et nous allons continuer. Nous nous sommes débarrassés de Ben Ali, donc on continuera à nous battre pour avoir tous nos droits.