Après dix bonnes minutes d´attente, la voiture passa le contrôle de police où un agent tenait un appareil bizarre muni d´une antenne qu´il dirigeait sur les véhicules. «Il paraît que c´est pour détecter les matières explosives», a expliqué Belkacem pour épater Lounès des avancées technologiques faites en matière de sécurité. Les automobilistes se rattrapaient de la longue attente passée au niveau de la cité des Bananiers: ils appuyaient sur le champignon et les accélérations produisaient des nuages de fumée qui noyaient les vrombissements des véhicules surmenés. «On se croirait dans un pays développé», avait dit Lounès, qui ne supportait guère l´ambiance. Pourtant, dans cet amas de ferrailles qui roulent sur cette route bitumée, il n´y a pas un clou qui soit sorti d´un atelier algérien. Tout est importé. Et avec la mode des 4x4, on importe même le gasoil. C´est tout dire de la manière dont on gère les affaires: un pays qui produit du pétrole, importe les huiles et le gasoil! Un accrochage entre deux véhicules avait ralenti la circulation au niveau de Mohammadia: les chauffeurs étaient en train de s´invectiver sans tenir compte du désagrément qu´ils venaient de créer. Heureusement, la venue de deux motards apaisa les esprits: ils intimèrent l´ordre aux deux jeunes hommes de ranger leurs véhicules sur la bande d´arrêt d´urgence. «Quelle mentalité!» soupira Lounès. «Tu ne verras jamais cela ailleurs! D´abord, ils conduisent comme s´ils étaient au 24 heures du Mans, avec des voitures bas de gamme, ensuite ils se comportent comme des charretiers. Ils n´ont pas besoin de se disputer ou de se traiter de tous les noms: un simple constat suffit. L´assurance est là pour ça. C´est que la plupart des gens roulent à crédit», précisa Belkacem dont le front avait pris quelques rides, vu que son salaire ne lui permettait pas de solliciter un prêt bancaire pour remplacer sa guimbarde qui commençait à donner des signes d´essoufflement. «Encore une ineptie: je dirais même une escroquerie, s´est écrié Lounès sur un ton doctoral. Non seulement le pays ne produit pas de véhicule, mais encore il encourage les gens à en acheter en fournissant des crédits à gogo! C´est un non-sens!» «Et pourtant cela ne décourage nullement les gens», répondit Belkacem. Les transports publics sont dans un tel état, que n´importe quel citoyen n´aspire qu´à une chose: posséder un véhicule pour pouvoir se déplacer à sa guise. Chaque famille ou presque possède un véhicule maintenant. -Parce que les gens ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Il ne suffit pas d´acheter des voitures pour rouler. Il faut voir ce que cela induit comme conséquences économique, environnementale et sociale. Et je ne parle pas de la plus lourde facture à payer: les pertes humaines qui se soldent par des morts, des blessés handicapés à vie, des familles endeuillées et des soins très coûteux. Sans oublier, bien sûr, le chapitre des pièces détachées. Parce qu´un véhicule demande un entretien permanent, le consommateur sera obligé de réserver une part de son revenu à cet effet. Et cela se chiffre! La voiture venait d´aborder le pont d´El Harrach quand Lounès se départit de cette réplique piquante: «L´odeur d´El Harrach! voilà l´identité de notre bonne vieille ville!»