Avec l'affluence des estivants dans la région de Jijel, les rues de la ville connaissent, à longueur de journée, bouchons et encombrements de la circulation routière. Depuis quelques années, et après une décennie de cauchemars, la région sort la tête de l'eau pour respirer un bon bol d'air, se hissant quelque peu et le temps d'une saison au rang de wilaya nantie. Le rush des estivants, arrivant généralement en famille, cache une autre attirance peu visible de jeunes et autres adolescents. Noyés dans la foule durant la journée, ces derniers « remontent » à la surface une fois la nuit tombée. Leur lieu de prédilection est bien sûr la vaste plage Kotama, en plein centre-ville. A l'occasion de la fête de la police, un groupe de journalistes a été invité à suivre le travail des éléments de la sûreté dans les différents quartiers de la ville. La tournée débute à 21 h, à la cité des Martyrs Abdi. Dix minutes plus tard, le convoi s'arrête en face de la placette où se dresse le bateau dit Baba Arroudj. L'équipe de nuit des agents chargés de la circulation est sur place. Leur mission, nous dit-on, ne s'arrêtera qu'une fois la circulation des véhicules atténuée. L'équipe qui nous accompagne commence son travail par l'examen de la situation de quelques jeunes adossés à la balustrade délimitant le trottoir du front de mer. Cinq d'entre eux seront abordés et subiront fouille et vérification d'identité. Cette soirée nous démontrera le peu d'intérêt qu'accordent les jeunes gens au port d'une pièce d'identité, même s'ils viennent de loin. Deux adolescents, originaires de l'Emir Abdelkader (wilaya de Jijel) feront l'objet d'une vérification d'identité par radio car ne disposant pas de pièces d'identité. Les trois autres, originaires de Chlef, soutiendront qu'ils ont été invités par un habitant de Jijel. Quelque peu irrité au début, un Chelfi nous lancera : « Pourquoi ça marche en Tunisie et pas chez nous ? » Son compagnon ajoutera : « Je ne vais pas aller en Tunisie, alors que je ne connais pas mon pays. Je suis déjà allé à Mostaghanem, Tipaza, et cette fois-ci à Jijel, bien que je n'y aie pas de famille ». Un de nos collègues leur demandera ce que représente la date du 22 juillet. La réponse sera sèche : « Posez la question à ceux qui nous ont enseignés ». Parmi les trois jeunes gens à l'air jovial, deux sont énarques, le troisième est gérant d'un bain-douche. Les deux universitaires travaillent l'un à la wilaya de Tissemsilt et l'autre à l'hôpital de Chlef. La nuit en compagnie de la police commence à nous réjouir. Il est 21 h 30, nous reprenons la route en longeant le boulevard ouest de la ville avant de rallier la nouvelle ville sur les hauteurs. A l'intersection faisant face à la cité militaire, gênés par les travaux du traçage des passages pour piétons, deux véhicules Toyota Hilux se percutent. Les deux conducteurs allaient en venir aux mains. Les policiers interviendront pour calmer les esprits. En reprenant la route, un appel radio nous informe de la présence d'un véhicule « abandonné » au niveau de la station-service du village Moussa. Les voitures de police foncent droit vers le lieu. Le véhicule est poussé loin des machines de distribution de carburant et vérifié avec le « fennec » un appareil de détection d'explosifs et de stupéfiants. Un policier nous dira que l'appareil est de fabrication algérienne. La situation s'est vite décrispée avec l'arrivée du propriétaire du véhicule, un émigré rentré au « bled » passer ses vacances. Il nous expliquera que, sachant que la machine était en panne momentanément, il a laissé son véhicule sur place. Les excuses pleuvent tant de l'émigré que des policiers. A 21 h 56, nous nous dirigeons, cette fois-ci, vers le barrage fixe de l'entrée Est de la ville. Là, on nous montrera les registres des personnes recherchées et des véhicules volés. Une voiture Renault Clio, immatriculée à Mila est arrêtée pour vérification. A son bord, quatre personnes, le conducteur, un militaire, et deux autostoppeurs, embarqués à Sidi Abdelaziz. Venu de Batna, comme son ami, le plus jeune ne dispose pas de pièce d'identité. Le plus âgé a 19 ans alors que son compagnon n'en a que 16 ans. L'idée d'être « embarqué » au commissariat pour passer la nuit et contacter ses parents incommode le plus jeune. « Moi, je n'aime pas entrer au central ni avoir affaire avec la justice », dira l'adolescent aux policiers, avant d'ajouter : « On est venus passer les vacances à Jijel et vous nous compliquez la vie ». Les deux Batnéens nous diront qu'ils passent la nuit à la belle étoile, mais à Sidi Abdelaziz, on leur interdit de dormir sur la plage. Des jeunes s'adonnent à la drogue Aux environs de 22 h 50, les deux jeunes sont conduits au commissariat. Quelques minutes plus tard, un appel radio ordonne une descente à la cité « Plage », où des jeunes se droguent près de la clôture d'une villa. Dès l'arrivée des policiers, trois d'entre eux prennent la fuite, deux sont rattrapés par les policiers, alors que le troisième réussira à s'enfuir dans la forêt urbaine, malgré sa filature par un véhicule de la police. Après une dizaine de minutes de fouille et de recherches sur les lieux, une petite quantité de kif, ainsi que des bouts de joints consommés sont retrouvés par un policier près du portail de la villa. Des Algérois venus passer les vacances viennent informer les policiers sur un vol perpétré la veille dans leur maison. Les deux jeunes originaires de la même cité, où ils ont été arrêtés, sont embarqués. Direction le commissariat central. Vers 23 h 15, les deux suspects sont au bureau de la permanence. Après la fouille et le contrôle d'identité, un des deux suspects est pris d'un malaise. Il n'arrive pas à se mettre sur la chaise et préfère s'étendre sur le sol. 23 h 26, direction quartier Bourmel, près du stade olympique auquel fait face un terrain vague, connu pour être un lieu privilégié des agresseurs et autres consommateurs de drogue. Deux véhicules de la police sont passés par Ben Achour, alors que deux autres sont près du stade pour éventuellement intercepter les fuyards. A la vue des policiers, quelques personnes qui se trouvaient sur la crête, côté Ben Achour, prennent la fuite. A 23 h 55, nous remontons dans les véhicules pour nous diriger vers le jardin abandonné, une vraie forêt, jouxtant le laboratoire de la santé. Pas âme qui vive. Nous reprenons la route pour aller à la plage Kotama, plus précisément au poste de police aménagé sous l'hôtel éponyme. Il s'agit d'éléments de la 12e unité républicaine de la sûreté qui active H24. Dotés de quadricycles pour se déplacer sur le sable, les policiers de ce poste veilleront à la sécurité des biens et des personnes durant toute la saison estivale. Des éléments de la police judiciaire, en tenue civile, sont disséminés dans les parages pour seconder les policiers en tenue réglementaire. Ce dispositif est mis en place dans le cadre du plan bleu de la sûreté nationale. A minuit trente, nous longeons le bord de la plage. A la limite Ouest, des tentes sont dressées près du rivage. Ne disposant d'aucune autorisation, leur propriétaire est sommé de les démonter. Quelques dizaines de mètres plus loin, un vieux dort profondément sur le sable, bercé par les sonorités de la houle. Vérifications faites, il s'agit d'un Batnéen. Bonne nuit, le vieux reprend son oreiller de fortune et se rendort. Une deuxième personne est réveillée, un candidat venu passer le concours d'entrée dans la police. 1h. Nous arrivons près du deuxième poste de surveillance de la Protection civile. Un groupe de jeunes veille à la faveur de la douceur nocturne. Parmi ces derniers, il y a un Oranais sans ressources et sans pièce d'identité. Les policiers lui font remarquer qu'ils sont en droit de l'arrêter pour vagabondage. Le bonhomme concerné répond qu'il est bien pris en charge par ses amis de Jijel. Les informations données par ce jeune sont confirmées par radio. Il ne sera pas inquiété. Quelques dizaines de mètres plus à l'est sur la plage, quatre jeunes, originaires de Ferdjioua, dans la wilaya de Mila, sont assis autour d'une table. Aucun ne dispose de pièce d'identité. Vérification de routine. Quelques mètres plus loin, deux jeunes dorment sur le sable, un Guelmi et un Batnéen qui disposent de leurs pièces d'identité. Au bout de la plage, près de l'embouchure de l'oued El Kantara, des tentes sont dressées près de la clôture de la station de relevage des eaux usées. Il s'agit de vendeurs de thé, qui sillonnent la plage et les rues de la ville durant la journée. Les trois jeunes sirotaient un thé autour d'un narguilé. Deux sont originaires de Tamanrasset alors que le troisième vient de Touggourt. Il est 1 h 45. Nos yeux commencent à picoter et la fatigue est visible sur nos traits. Nous décidons de rentrer.